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tourne la cavalerie, afin de couper la retraite aux chrétiens. Marc, suivi de quelques compagnons, parcourt les rues, dirige la défense avec un rare sang-froid, fait évacuer les maisons qui menacent ruine, renforce les points les plus vulnérables, et dispose habilement ses hommes, qui, dans le premier moment de désordre, s’étaient barricadés un peu partout et au hasard. Ce combat, qui devait nécessairement aboutir à l’extermination des Souliotes, durait depuis plusieurs heures, quand Nothi Botzaris déboucha inopinément sur le flanc des Turcs avec quatre cents pallikares. Ce vieux guerrier, en entendant le bruit lointain du canon, n’avait pu résister à l’envie de prendre part à la bataille ; il avait retrouvé les forces et l’agilité de sa jeunesse pour voler au secours de son neveu. À sa vue, celui-ci forme ses soldats en colonne serrée, et exécute une sortie furieuse, tandis que Nothi enfonce de son côté les lignes de l’ennemi, qui ne s’attendait nullement à cette double attaque. Le soir venu, les Souliotes étaient maîtres du terrain jusqu’au pont fortifié ; ils reçurent à ce moment un renfort aussi précieux qu’inespéré : deux mille Toxides les rejoignirent spontanément. Ces Albanais étaient commandés par Elmas-Bey, qui, longtemps à la solde de Kourchid, s’était décidé, après la prise de Tripolitza par les Moraïtes, à embrasser la cause d’Ali-Pacha et de ses alliés les Souliotes.

Deux jours après, Toxides et Souliotes, maîtres des faubourgs en quelques heures, se précipitèrent dans l’enceinte d’Arta, rencontrèrent le brave Karaïskos, qui y avait pénétré de son côté, et après une lutte acharnée restèrent possesseurs des trois quarts de la ville. La nuit sépara les combattans ; les assiégeans campèrent sur les ruines fumantes du champ de bataille au pied de l’acropole, qui contenait un château fort et les bâtimens de l’archevêché, dernier asile du pacha. L’assaut de l’acropole devait avoir lieu le lendemain, et l’on espérait chasser aisément de cette position un ennemi démoralisé par de continuelles défaites. Ce fut un singulier spectacle que celui des derviches toxides et des prêtres souliotes priant ce soir-là côte à côte et rendant grâces au ciel de leur commun triomphe. Les sommets qui s’échelonnent à diverses hauteurs depuis les collines de l’Amphilochie jusqu’aux pics aériens de la Selléide s’illuminèrent pendant la nuit les uns après les autres : cette longue traînée de feux annonça à Souli la victoire des chrétiens ; mais à la lueur même de ces feux de joie un revers de fortune inattendu se préparait. Les beys du Chamouri étaient depuis plusieurs jours assemblés à Paramythia, délibérant sur le parti qu’ils avaient à prendre. Toujours en proie aux éternelles fluctuations d’esprit qui les poussaient tour à tour d’un camp dans l’autre, ils n’étaient pas plus entraînés vers le grand-seigneur que vers les Grecs : servir l’un répugnait à leur fanatisme d’indépendance, s’allier aux autres répugnait peut-être