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se fixer en Italie, où il dépensait noblement la part qu’il avait touchée dans le pillage de l’empire. Ainsi rendu à sa première situation, le secrétaire d’Attila se montrait un bon et utile Romain. Sa profonde connaissance des mœurs et des intérêts barbares le fit rechercher par les ministres des empereurs et par les empereurs eux-mêmes. Il se glissa dans leur intimité, fut bientôt de tous leurs conseils, et obtint un commandement dans le corps des domestiques, poste envié et réellement important en ce qu’il servait de marchepied à tout.

Par suite de ses aventures mêmes et des relations de sa vie passée, Oreste pouvait rendre à l’empire des services de plus d’un genre ; mais le plus important de tous se trouvait en quelque sorte entre ses mains. La question de vie ou de mort pour la Romanie occidentale était alors dans la composition de ses armées : non pas qu’il s’agît encore, comme sous Marc-Aurèle ou Probus, d’y combiner avec prudence l’élément national et l’élément étranger, de manière à garantir toujours la prééminence au premier ; le temps des simples tempéramens n’était plus, et le gouvernement d’Occident se résignait à ne plus compter sous ses enseignes que des soldats étrangers. La question était de décider si ces soldats étrangers formeraient au sein de l’Italie une armée ou un peuple. Sans doute le recrutement des mercenaires barbares dans un seul peuple, par l’intermédiaire d’un chef ou roi de ce peuple, généralissime romain, offrait de grands avantages de facilité et de cohésion ; mais Ricimer en Italie, Aspar à Constantinople, avaient mis à nu les inconvéniens d’un pareil système, qui amenait, comme conséquence inévitable, la dépendance des empereurs et l’abaissement de l’autorité impériale devant le patriciat barbare. Le remède à ce mal, remède bien impuissant encore, consistait à changer le mode de recrutement, au moins pour une portion des troupes, à diviser les commandemens, à créer entre les chefs des rivalités de position, en un mot à détruire au profit de l’empereur cette unité et souvent cette hérédité du gouvernement militaire qui faisait la force des patrices barbares, entrepreneurs d’armées romaines.

Dans la Romanie orientale, Léon avait accompli ce travail avec succès. En composant sa garde de recrues isauriennes opposées aux fédérés goths de Théodoric le Louche et d’Aspar, et remettant le commandement de cette garde à l’Isaurien Zenon, devenu son gendre, il avait su se préserver lui-même, et chasser des abords du trône la dynastie militaire des Ardabures, maîtresse de l’Orient depuis un demi-siècle. L’Occident, il est vrai, ne comptait, parmi ses populations sujettes de l’empire, rien de comparable pour l’énergie guerrière aux sauvages tribus de l’Isaurie ; mais à défaut de Romains