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mes ; si ce prétexte eût manqué, la Prusse en eût trouvé un autre. Seulement l’occasion était bonne pour parler vivement à l’imagination belliqueuse de l’Allemagne du midi. Lorsque l’Autriche, au mois d’avril, adressa au Piémont l’impérieuse sommation de désarmer, cette brusque déclaration de guerre, par cela même qu’elle irrita toute une partie de l’Europe, parut à l’Allemagne des états secondaires un signe de force et d’audace, et l’Allemagne, dans son besoin d’agir, fut comme transportée d’enthousiasme. Aujourd’hui la Prusse prend sa revanche ; en menaçant la France et en bravant la Russie, elle veut à son tour faire acte de hardiesse et retrouver son prestige. On se rappelle qu’après sa sommation l’Autriche ne se hâta point d’ouvrir les hostilités ; nous espérons que la Prusse hésitera de même, et que nos victoires prochaines en Vénétie assureront d’une manière irrévocable l’indépendance de la nation italienne avant que de nouvelles complications puissent surgir. Quoi qu’il en soit, le point que nous voulons prouver nous semble désormais en pleine lumière ; la conduite du gouvernement prussien est conforme au revirement d’opinion qui s’est fait d’une manière si soudaine dans une partie de la presse ; c’est pour flatter les passions des états secondaires, c’est pour mériter les remerciemens du teutonisme, c’est pour cesser d’être isolée au sein de la confédération germanique, que la Prusse, foyer de libéralisme et de lumières, veut s’opposer à cette généreuse lutte de l’Italie et de la France contre l’étouffante domination des Habsbourg.

Quoi donc! la Prusse ne se sent pas assez forte pour rester seule quelque temps, seule avec le droit, avec les principes du libéralisme moderne, au milieu des peuples de l’Allemagne! elle n’a pas assez le sentiment du rôle qu’elle joue dans le monde pour maintenir jusqu’au bout sa politique! Elle veut reprendre la suprématie dans la confédération, et elle ne s’aperçoit pas qu’elle se met à la suite des petits états! C’est à M. de Beust en Saxe, à M. Von der Pfordten et M. de Lerchenfeld en Bavière, qu’il appartient de triompher aujourd’hui; pour nous, si nous étions Prussien, nous nous sentirions cruellement humilié, et malgré l’entraînement général nous continuerions de dire à notre pays : Ne soyons pas les vassaux de l’Autriche. L’Allemagne, qui nous abandonne en ce moment, nous reviendra bientôt plus confiante. Si nous cessons de représenter les principes libéraux en face de l’absolutisme autrichien, que sommes-nous désormais? C’est un étrange moyen de relever notre influence que de renoncer aux principes qui l’ont fondée.

Le prince Gortchakof, dans sa circulaire du 27 mai, a dit : « Notre désir, comme celui de la majorité des grandes puissances, est aujourd’hui de localiser la guerre, parce qu’elle a surgi de circonstances locales, et que c’est le seul moyen d’accélérer le retour de la paix. La marche que suivent quelques états de la confédération germanique tend, au contraire, à généraliser la lutte en lui donnant un caractère et des proportions qui échappent à toute prévision humaine, et qui, dans tous les cas, accumuleraient des ruines et