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V.

La première falaise que l’on rencontre après celles des Chickasaws est la falaise de Memphis. Admirablement placée au rebord même du précipice au fond duquel le fleuve s’attarde au milieu d’îles vertes, dominée par un vaste entrepôt en forme de temple grec sur lequel on lit à plusieurs kilomètres de distance sale of slaves (vente d’esclaves), la ville de Memphis a tout à fait les dehors d’une cité impériale, et prétend justifier un jour le nom ambitieux qu’elle s’est donné. Déjà elle lutte pour la suprématie avec Nashville, la capitale de l’état du Tenessee, et son importance augmente rapidement.

Entre l’embouchure de l’Ohio et la Nouvelle-Orléans, le Mississipi ne reçoit aucun grand affluent sur sa rive gauche. Puisque aucun cours d’eau ne leur offre sa vallée, les riverains du Mississipi ont dû recourir à la construction de chemins de fer pour communiquer avec les Alleghanys et les rives de l’Atlantique, et tout naturellement Memphis est devenue le point de départ du plus important de ces chemins de fer, véritable courant commercial qui va désormais verser les produits de la vallée mississipienne dans les ports de Baltimore, Charleston et Savannah. De plus, Memphis deviendra nécessairement la tête d’une autre ligne ferrée se dirigeant vers les plaines de l’ouest et la Californie, et le commerce du Haut-Arkansas affluera vers Memphis comme vers sa véritable embouchure. Cette ville deviendra donc un point de croisement entre les produits du nord et du sud, de l’est et de l’ouest. Cependant Memphis n’a pas toujours demandé au commerce son progrès et ses ressources. Sous la présidence de M. Polk, la ville se fit accorder des arsenaux maritimes et des chantiers de construction. Les faiseurs de projets oublièrent que Memphis est à 1,500 kilomètres de la mer, et que souvent dans les basses eaux le fleuve n’a que 3 mètres d’eau en aval de l’embouchure de l’Arkansas. On construisit de vastes édifices, des corderies, des fonderies, des forges, des ateliers de toute espèce; puis, quand tout fut terminé, cales, chantiers, bassins, l’on s’aperçut avec étonnement que Memphis n’était pas un port de mer, et l’on revendit toutes les constructions pour une somme représentant la quarantième partie des frais de construction. Les cités du midi ne s’en remettent pas à leur seule énergie pour le soin de leur prospérité : c’est en cela qu’elles diffèrent des cités du nord. Dans les magasins de Memphis, les embarcadères des bateaux à vapeur, les gares de chemins de fer, on voit des affiches annonçant les heures de départ des trains sur les voies ferrées de l’Illinois et de l’Ohio, tandis que