Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/489

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

crains pas que je veuille jamais revendiquer la propriété des billevesées de ma façon qu’il te fera plaisir de publier, et que la gloire que tu en retireras puisse jamais me faire envie. Tu ne me dois donc aucune reconnaissance, et je te dispense de me remercier. »

Je n’ai jamais fait usage de la liberté qui me fut ainsi octroyée, et en vérité j’hésite encore au moment d’en user pour la première fois. Il serait très facile de détacher de ces cahiers volumineux une série de paragraphes éloquens ou un chapelet de pensées profondes, mais c’est à peine si l’on pourrait y rencontrer dix pages qui répondissent aux besoins d’ordre, de méthode et de logique qui caractérisent l’esprit français. Ceux qui connaissent parmi nous le Doctor de Southey et la Biographia litteraria de Coleridge pourront se faire une idée approximative de ce capharnaüm intellectuel; encore les livres de Southey et de Coleridge se bornent-ils en général au monde des idées, et n’empiètent-ils pas à chaque instant sur les domaines de l’imagination et de la vie comme ces excentriques manuscrits. Je trouve des souvenirs d’enfance à côté de réflexions sur le Koran, et une dissertation sur le caractère de la musique de Donizetti à côté d’un fragment sur les femmes du Nouveau-Testament, que je détacherai peut-être un jour, dans une heure d’audace. Cependant çà et là Henri Néville a essayé d’introduire un peu d’ordre au milieu de ce chaos, et certains groupes de pensées et de sentimens liés ensemble par les simples liens de l’affinité naturelle attirent violemment les yeux par les titres bizarres dont il les a affublés. Les impressions nées exclusivement de la lecture portent pour titre le Monde des Livres. Certains portraits, dessins de caractères, souvenirs, anecdotes ont été réunis sous ce nom : Images objectives et Impressions extérieures. Quelques réflexions morales et quelques rêveries d’une nature poétique et romanesque ont été baptisées Images des Rêves et Fantômes subjectifs, mais de tous ces groupes de rêveries et de pensées, celui qui m’a paru le plus nouveau et le plus original est un ensemble de récits et de souvenirs réunis sous ce titre alléchant pour le moraliste et le psychologue : les Petits Secrets du Cœur. Ce sont des réflexions sur les subtils mobiles qui déterminent les actions humaines, confirmées par des anecdotes d’un genre tout à fait excentrique et singulier, qui feraient dire à plus d’un lecteur ce que Voltaire disait de Marivaux : « Voilà un auteur qui connaît tous les sentiers du cœur humain, mais qui n’en a jamais connu la grand’route. » L’auteur, je crois, accepterait volontiers ce reproche, car il est très évident que pour lui il n’y a pas de règle générale dans les déterminations de la volonté, et que tout est exception dans ce prétendu domaine de la liberté. Du reste écoutons-le parler lui-même; les pages qu’on va lire sont extraites d’un chapitre intitulé après une Lecture de Sterne.