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complète n’est nulle part. Avant notre temps, il y avait eu des révolutions, et jusque vers la fin du moyen âge et au-delà les gouvernemens ne vivaient pas dans cette confiance en leur durée qu’ils croient avoir perdue de nos jours seulement ; mais à la suite de ce mouvement général du commencement du XVIIe siècle qui sembla reposer presque toutes les monarchies plus d’aplomb sur leurs bases, après le désarmement de toutes les forces indépendantes qui avaient si longtemps fait échec au pouvoir royal, il s’était répandu un sentiment, ou, si l’on veut, une illusion de la stabilité absolue des trônes. L’Angleterre seule, toujours inquiète, et qui, de 1645 à 1745, put douter de la solidité de sa dynastie, qui depuis lors même n’a jamais regardé comme impossible que les événemens remissent la couronne en question, quoique sa loyauté ait toujours écarté cette inutile extrémité, a seule échappé à cet engourdissement politique dans lequel les vieux gouvernemens n’ont que trop de tendance à se plonger. L’exemple de la royauté de Versailles, sur lequel pendant cent cinquante ans les princes se sont à l’envi modelés, les a tous plus ou moins portés à cette adoration d’eux-mêmes qui pouvait les abuser sur leur condition : confiance d’autant plus pardonnable que leurs sujets même leur en donnaient l’exemple, et que l’opinion qui les entourait semblait regarder les troubles civils et les bouleversemens politiques comme ensevelis dans le tombeau de l’ancienne barbarie.

La France, qui avait le plus contribué à établir cette illusion, a été la première à la détruire. Couronne et dynastie, tout avait réchappé chez elle plus constamment, plus heureusement qu’ailleurs, d’agitations plus violentes et plus menaçantes que celles d’aucun autre pays. Cet exemple envié, en trompant le monde, l’avait elle-même trompée. C’est à elle qu’est échu depuis 1789 le pénible rôle de prouver aux rois et aux peuples que couronne et dynastie sont aussi instables que toutes les choses humaines. Et comme c’est son destin d’occuper le monde plus que personne, et de faire, même sans en avoir dessein, de son histoire une propagande universelle, elle a révélé, elle a enseigné à tous le secret, l’art, la facilité des révolutions. Alors, comme si un voile se déchirait, on a vu à découvert l’état des sociétés modernes. On a compris avec un certain effroi que ce qui avait rassuré jusqu’ici était précisément ce qui devait tenir en alarme. Depuis la renaissance, la politique, la législation, le gouvernement, étaient devenus, comme tout le reste, un objet de réforme. De même que la religion et la philosophie, les sciences et les lettres, on avait regardé comme un heureux progrès que l’art social pût recevoir de l’expérience et de la raison des perfectionnemens inconnus jusque-là, et dans cette tâche nouvelle, facilitée par