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Le soupçonnait-il de vouloir se mettre à la tête d’une réaction païenne ? Dans ce cas, Constantin eût été animé du sentiment qui fit frapper le prince Alexis par Pierre le Grand, jaloux de défendre son œuvre comme l’avait été le premier Brutus. Ce qui le ferait croire, c’est qu’en même temps un meurtre encore plus odieux s’accomplissait par ordre de Constantin sur un enfant de douze ans, fils de ce Licinius, dernier défenseur du paganisme, dont on semblait craindre qu’il ne voulût, comme son père, défendre la cause. Ce qu’il y a de sûr, c’est que l’impératrice Fausta ne fut pas étrangère à la mort de Crispus, né d’une première femme, comme le prouva sa propre mort, crime nouveau par lequel les remords de Constantin le poussèrent à venger un autre crime. C’est une véritable tragédie dont M. de Broglie a, je crois, le premier mis dans tout son jour le caractère sinistre. L’impératrice Hélène, qui aimait son petit-fils Crispus et haïssait sa bru Fausta, apparaît sous un jour assez nouveau. Accourue d’Orient, comme une autre Agrippine, pleine de douleur et de passion, elle vient demander vengeance pour le meurtre de Crispus. Constantin, alors furieux contre lui-même, s’en prend à ses conseillers, qui périssent dans les supplices, et à sa femme Fausta, qu’il fait étouffer dans un bain brûlant. Voilà un singulier intermède aux scènes du drame théologique où Constantin reparaîtra bientôt.

M. de Broglie rejette le récit d’après lequel Constantin, dans le trouble de son âme, aurait demandé un moyen d’expiation à des prêtres et à un philosophe païens, qui l’auraient renvoyé au baptême chrétien, seul capable de laver ses forfaits ; il rejette aussi avec non moins de raison une légende populaire au moyen âge, et que représente une curieuse mosaïque de l’église des Quattro-Coronati à Rome. Selon cette légende, Constantin, frappé par la lèpre, aurait voulu s’en guérir en se baignant dans le sang des petits enfans, mais n’aurait pu être délivré de son mal que par le baptême, qu’il aurait reçu du pape saint Sylvestre : fable adoptée par le savant Baronius uniquement pour établir cette autre fable, le baptême de Constantin à Rome. Cette légende, comme toutes les légendes, exprime par de faux détails un fait véritable, l’horreur qu’inspirèrent aux chrétiens eux-mêmes les barbaries que je viens de rappeler. Ce terrible bain de sang fait allusion sans doute à l’enfant de Licinius égorgé par son oncle. M. de Broglie l’a oublié, mais la vieille mosaïque romaine en garde le souvenir.

La translation de la capitale de l’empire aux extrémités de l’Europe, aux portes de l’Orient, du monde latin dans le monde grec, est un grand fait, et qui tient une place importante dans l’histoire des relations réciproques de l’église et de l’empire. M. de Broglie a discuté les motifs de cette substitution d’une capitale à une autre,