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dans son élément ; mais c’est là qu’il lui faut déployer cette résolution qu’aimait en lui le général Jackson. Ces grandes multitudes l’inspirent, l’idée du bien à accomplir le transporte et le rend infatigable. Tout le long du jour, il prêche, il chante des hymnes, il exhorte les pécheurs qui recourent à lui ; la nuit il veille et prie, le repos semble lui être inconnu, et cependant le camp-meeting se prolonge quelquefois durant toute une semaine et même plus. Aussi quelle sainte indignation et quelle vigueur il déploie contre ceux qui veulent entraver l’œuvre de Dieu ! Des marchands ambulans viennent s’installer aux environs du camp et se mettent à vendre des liqueurs fortes : Cartwright va trouver les magistrats du canton, et de gré ou de force, par adresse ou par importunité, il obtiendra l’éloignement de ces marchands. Si on lui objecte le silence de la loi et la liberté des transactions, il se mettra à la tête des fidèles, s’emparera du vin et de l’eau-de-vie, et les gardera sous clefs jusqu’à la levée du camp. Ces familles qui viennent tout entières au camp comptent dans leur sein des membres, des jeunes gens surtout, qui ont peu ou point de piété, que la curiosité seule a amenés, qui ne cherchent que des occasions de se divertir. Il est aussi des gens à qui ces réunions déplaisent et qui se font un point d’honneur de les troubler. Ils collectionnent des crapauds pour les lancer dans l’assemblée au moment le plus pathétique d’un sermon ; ils complotent de lancer la nuit des pétards au milieu du camp pour y mettre la confusion, de surprendre nuitamment les prédicateurs pour les berner, ou d’emmener dans une fondrière quelque chariot et ceux qui dorment dedans. Cartwright heureusement fait bonne garde ; il pose des sentinelles, il accomplit en personne plusieurs rondes. Tel qui venait pour faire un mauvais coup est trop heureux de détaler à toutes jambes. Un garnement qui avait juré de conduire à la rivière et de jeter à l’eau le chariot du prédicateur, au moment d’exécuter son dessein, se sent prendre au collet. Cartwright, qui l’a guetté, armé d’un fort gourdin, le mène tout droit à la rivière, et l’oblige, sous menace du bâton, à prendre un bain forcé.

D’autres fois Cartwright noue des intelligences parmi ses ennemis ; il en transforme quelques-uns en alliés, il pactise avec eux et leur permet de s’aller divertir plus loin, s’ils lui garantissent la tranquillité du camp. Un jour que ceux qui devaient troubler l’ordre en étaient ainsi devenus les défenseurs, arrive un jeune fat, tout fier de ses longs cheveux bouclés et frisés à la dernière mode ; il va s’asseoir du côté réservé aux femmes, et aucune observation ne peut lui faire quitter la place. Cartwright réclame l’exécution des conventions ; le jeune homme est saisi par les alliés naturels du prédicateur,