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Et cela fait penser malgré soi à la femme de Sganarelle, qui voulait être battue.

D’où leur vient cette passion d’être toujours gouvernés, dominés, réglementés ? Il ne manque pas dans nos ateliers d’intelligences très saines et très ouvertes, et qui sont d’autant plus capables, je dirai presque d’autant plus dignes de comprendre et d’aimer la liberté, qu’étant sans cesse aux prises avec les dures nécessités de la vie, elles semblent faites tout exprès pour dédaigner les théories chimériques, pour s’attacher fortement aux mâles et solides doctrines qui reposent sur des faits, et ont pour but l’emploi intelligent des forces humaines. Peut-être a-t-on jusqu’ici trop parlé aux ouvriers de ce qu’ils souffrent, et pas assez de ce qu’ils peuvent. Ils brisent le joug d’un règlement dans les momens de révolution, ce n’est souvent que de la colère ; ils s’en forgent aussitôt un autre, c’est à coup sûr de la faiblesse. La raison veut que le travail soit libre pour être glorieux et fécond. Il faut porter jusque dans les ateliers le langage de la raison et la propagande de la liberté. Il doit être facile d’enseigner à un homme dont le bras ne se repose jamais à ne compter que sur soi. C’est par l’histoire qu’il faut prouver aux ouvriers à quel point un protecteur ressemble à un maître. Une fois que cette vérité sera bien comprise, bien des causes de trouble disparaîtront, et cette sécurité qu’il importe de rendre au commerce sera garantie.

Parmi les ouvrages récemment publiés sur cette question capitale, il en est trois qui méritent une attention particulière. M. Al. Compagnon, ancien tapissier, si je ne me trompe, et depuis juge au tribunal de commerce de la Seine ; M. A. Corbon, qui est aujourd’hui sculpteur sur bois après avoir été ouvrier compositeur, ont écrit, à des points de vue fort différens, deux livres pleins de bonnes observations, et qui se recommandent par des sentimens élevés et fraternels. M. Compagnon se préoccupe surtout de l’organisation des syndicats et des caisses de mutualité ; ses conclusions sont toutes en faveur du principe de la réglementation. M. A. Corbon, homme pratique, mais esprit ouvert, dont les aspirations sainement libérales se font jour à chaque page de son substantiel mémoire, s’est volontairement circonscrit dans la question de l’enseignement professionnel et de l’apprentissage. Enfin un jeune historien sorti de l’École normale, M. E. Levasseur, dans un savant livre couronné, par l’Académie des Sciences morales et politiques, a jeté de vives lumières sur la question des réformes industrielles, en étudiant dans le passé la seule organisation praticable du travail, c’est-à-dire le régime des corporations. Cette organisation est peut-être la meilleure de toutes, et pourtant, ce qui prouve qu’en cette matière aucune