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place, comme plus tard les rois leurs successeurs ont émis des emprunts : il n’y eut jamais de mesures financières plus inintelligentes et plus désastreuses. Voilà quel a été le résultat de l’intervention de nos plus grands rois dans le régime des corps de métiers, et tous ces maux de détail qu’on est en droit de leur imputer sont moins regrettables que le fait même d’avoir conservé et consacré le principe du monopole industriel. Si, après cela, on a défendu aux ouvriers de travailler dans des arrière-cours, où l’œil du public n’aurait pas pu surveiller leur travail ; si on a interdit aux coffretiers d’employer l’aubier, qui est une sorte de bois sans solidité et sans durée ; si les meubles n’ont dû être peints et vernis qu’après la vente faite, afin que l’acheteur ne fût pas trompé sur la nature de la marchandise qu’on lui livrait ; si la largeur du lé d’étoffe, le nombre et la qualité des fils ont été réglés, toutes ces précautions, tous ces règlemens, inventés dans l’intérêt de l’acheteur, et qui pour la plupart ont tourné contre lui, sont une mince compensation des maux que nous signalions tout à l’heure, et sur lesquels il ne sera pas inutile d’insister.

Dès que les rois comprirent que la supériorité d’honneur qu’ils avaient eue pendant plusieurs siècles sur leurs grands vassaux allait devenir une domination effective, leur tendance fut de tout soumettre à leur autorité, non pas en détruisant les corps privilégiés, comme on le fit en 1789, mais en les multipliant au contraire, en les excitant les uns contre les autres, et en les réduisant tous à un état de dépendance vis-à-vis du pouvoir royal. Ainsi les rois firent à la féodalité une guerre d’extermination, mais ils se gardèrent bien d’ôter à la noblesse ses droits honorifiques, et même ceux de ses droits utiles qui ne leur portaient pas ombrage. La noblesse, qui avait limité et pour un temps anéanti leur pouvoir, devint un instrument pour eux après cette transformation. Ils agirent de même avec les gouverneurs de provinces, qu’ils réduisirent peu à peu à une vaine représentation, en faisant passer aux intendans tout l’effectif de l’autorité ; avec les parlemens, d’abord soutenus dans des prérogatives qui supplantaient les états-généraux, puis combattus dans leurs efforts de résistance, et finalement réduits au rôle de cours de justice ; avec les communes, encouragées au XIIe siècle dans leur lutte contre les seigneurs, puis transformées très promptement et très rudement en simples rouages administratifs d’un ordre inférieur ; enfin avec les corporations d’ouvriers, dont on fit des succursales de la police en supprimant et en faussant les élections, et en remplaçant partout les élus du métier par des hommes à la dévotion des intendans. Cette réforme faite, réforme très concordante avec les améliorations que la royauté accomplissait en