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eut pour la première fois la permission de nouer ses chausses comme il l’entendait. Les boutons couverts d’étoffe n’eurent pas moins de peine à s’établir ; les boutonniers d’os et de nacre et les boutonniers-ciseleurs poursuivirent à outrance ces boutons économiques. Le parlement lui-même les vit de mauvais œil, et permit aux officiers de police de les couper, dans la rue, sur les habits de ceux qui les portaient. Ce fut une bien autre affaire pour les toiles peintes. Le fabricant fut puni des galères. Une femme, pour porter de la toile peinte, put être mise à l’amende sur un simple procès-verbal, et les commis de barrières eurent le droit de lui arracher sa robe, de la déchirer sur son corps. Quand enfin, très peu de temps avant la révolution, il fut sérieusement question de permettre l’usage de ces malheureuses toiles, ce fut un tollé général dans toutes les fabriques, et les trois corps de métiers d’Amiens déclarèrent « qu’au seul bruit de cette nouveauté, tout le royaume frémissait d’horreur. » On sait que la Comédie-Française ôta la parole aux acteurs des théâtres forains, que l’Opéra leur défendit de chanter, et qu’ils furent réduits à la pantomime. Je regrette que M. Levasseur ait laissé dans l’ombre ces longues querelles à propos des comédies, qui mirent aux prises le grand conseil et le parlement, et qui condamnèrent du même coup les théâtres forains à se taire, et le public parisien à s’ennuyer, parce que le privilège de l’amuser en parlant était la propriété d’une corporation.

L’affaire devenait plus sérieuse quand il s’agissait des prétentions de la « très salubre faculté de médecine. » Molière a beau être plaisant quand il parle de l’obligation de mourir dans les règles ; dès qu’on a lu seulement trois procès-verbaux des prima mensis de la faculté, on comprend tout ce que cette plaisanterie avait de tragique. Je ne sais si M. Levasseur a connu le procès que firent aux chirurgiens de robe courte ou barbiers leurs confrères les chirurgiens de robe longue. Ces derniers étaient presque des savans, et ils avaient le privilège de suivre les cours de la faculté de médecine ; mais les chirurgiens de robe courte, qui étaient exclus de l’école, n’en avaient pas moins le droit de faire toutes les opérations de chirurgie. Les docteurs-régens ouvrirent leurs amphithéâtres à tous ceux qui avaient accès au lit des malades ; c’est ce qui souleva d’indignation la corporation des chirurgiens de robe longue. Ils ne contestaient pas à leurs humbles confrères le droit d’exercer la chirurgie, mais ils leur déniaient hautement celui de l’apprendre. Je parlais il y a un instant d’une plaisanterie de Molière qui change presque de nature quand on se rappelle les règles de la faculté de médecine ; voici une injure de Boileau qui ne peut être bien comprise si l’on ignore la constitution des corps de métiers sous Louis XIV :