Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/14

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pensée. Locke commença donc par être élève de celui de qui tout date dans l’histoire de la philosophie à partir du milieu du XVIIe siècle. En s’éloignant plus tard de lui, Locke resta son admirateur, et, pour la méthode et la clarté, se piqua toujours d’être son disciple. Quelques-uns même ont cru qu’il serait demeuré cartésien, si Malebranche n’avait jamais écrit.

Il a quelquefois regretté d’avoir été élevé à l’université. Médiocrement sensible aux beautés de l’art, il ne prisait guère les langues anciennes que comme moyens d’instruction. La connaissance du monde, celle de l’histoire, celle de la morale et du droit, qui sert à juger l’histoire et à se conduire dans les affaires publiques, c’était là ce qu’il eût voulu voir enseigner avant tout aux honnêtes gens. Pour lui, dans sa condition moyenne, il lui fallait encore une instruction professionnelle. Les sciences naturelles attirèrent de bonne heure l’attention de cet esprit positif. Il passa de la chimie à la médecine, sans être décidé à se faire médecin ; mais au milieu de ces études encore purement spéculatives, il ne pouvait s’empêcher de jeter un regard curieux sur les événemens du monde. La restauration des Stuarts était venue le surprendre au milieu de ses obscurs travaux. Quoiqu’il appartînt au parti de la révolution, il en était arrivé, comme un grand nombre d’hommes éclairés, à accepter le rétablissement de la monarchie, espérant, ainsi qu’on le fait toujours et si rarement à bon droit, que le malheur rendait raisonnables jusqu’aux races royales. L’expérience des troubles civils et surtout la domination inquiète et parfois violente des sectes religieuses avaient lassé et un peu affaibli les esprits sages, et Locke redoutait par-dessus tout la tyrannie du fanatisme. Aussi sa première composition connue roule-t-elle sur cette question : « Le magistrat civil peut-il légitimement imposer et régler les usages du culte dans les choses indifférentes ? » Il se prononçait, on le prévoit bien, pour l’affirmative. Le futur auteur des célèbres Lettres sur la Tolérance se déclarait à la fin de 1660 contre la liberté universelle des sectes ; partisan de l’autorité, qu’il aimait à croire toujours modérée, il réclamait pour tous droits ceux qui résultaient des lois que la prudence et la prévoyance de nos ancêtres ont établies, et que l’heureux retour de sa majesté a restaurées. Quand on a souffert des excès du fanatisme, ou seulement quand la raison a été froissée des opinions extravagantes ou des prétentions démesurées de l’esprit sectaire, on se sent ramené vers le pouvoir laïque, rarement égaré par l’enthousiasme, et dont l’intérêt ordinaire est de faire dominer le sens commun. L’estimant sage, on ne craint pas de le rendre fort. On préfère son action, fût-elle arbitraire, à l’oppression d’une église, aux discordes des sectes, et c’est ainsi que parmi nous