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déclaré propriété du gouvernement. L’enseigne chargé de cette mission parvint, en remontant une rivière assez forte qui traverse Hienguene, jusqu’à la demeure de Buaraté ; il trouva le chef assis sur le devant de sa case un fusil à la main, et le décida, non sans peine, à le suivre. Sur la corvette, Buaraté fut traité avec plus de douceur qu’il ne paraissait s’y attendre, et promit, après quelques difficultés, de se rendre le lendemain sur la plage, devant le village principal, avec ses guerriers, pour assister à la prise officielle de possession. Le lendemain donc, huit embarcations se détachèrent de la corvette et du brick, portant deux cent cinquante hommes et cinq obusiers ; elles se dirigèrent sur la plage, opérèrent leur débarquement au milieu d’un concours considérable de guerriers armés de fusils, d’espèces de zagaies et de haches en fer qui, dans les tribus en rapport avec les Européens, remplacent le casse-tête national en pierre verte. L’acte de possession fut lu par le commandant et traduit par un indigène des missions ; le drapeau français fut déployé, salué de trois décharges de mousqueterie, de vingt et un coups de canon de la Constantine, puis les deux cent cinquante soldats défilèrent devant le drapeau, pendant que Buaraté et les principaux de la tribu signaient l’acte d’occupation et de souveraineté. La vue de tant d’hommes armés de fusils, celle des obusiers, le bruit des canons de la corvette firent une impression profonde sur les sauvages ; on se sépara bons amis, et le commandant promit à Buaraté d’aller lui rendre visite le lendemain même dans ses cases.

En exécution de cette promesse, les huit embarcations se rangèrent sur une file et se mirent à remonter la rivière. Cette rivière de Hienguene est barrée à son embouchure par un large plateau de corail qui laisse seulement un étroit passage à la pointe méridionale de la baie ; elle ne descend à la mer qu’après de nombreux replis entre des montagnes abruptes qui lui déversent par des ravines profondes les eaux des plateaux supérieurs, et une riche végétation se détache vigoureusement sur les rampes rougeâtres qui l’encaissent. Dans le fond des ravines, des cocotiers abritent des cases relativement assez bien construites. Les habitans accouraient en foule sur la rive pour contempler un spectacle si nouveau pour eux, et suivaient les embarcations par l’étroit sentier qui de chaque bord longe la rivière. Les hommes en armes ouvraient la marche ; les femmes et les enfans suivaient à quelque distance, et les deux bords retentissaient de cris assourdissans. Après deux heures de cette navigation, des plantations de cocotiers et des cases plus nombreuses annoncèrent le village ; bientôt sur un escarpement de la rive apparut le chef, entouré de trois cents guerriers. Le débarquement s’opéra en ce point. La petite troupe se forma en colonne, l’artillerie