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à donner des conclusions en forme, ou, s’il les donne, il n’y faut pas le ton du réquisitoire, ni la sévérité que ne saurait comporter cette chose charmante qu’on appelle une comédie, chose sérieuse au fond par le travail et la combinaison qu’elle demande, mais où le comble de l’art est de couvrir tout par l’agrément extérieur. On l’a vu de reste au XVIIIe siècle : quand la comédie s’embarrasse d’arrière-pensées démonstratives et moralisantes, elle est bien près d’ennuyer ; or pense-t-on que l’ennui soit si bon moraliste ?

Sans doute, s’il était au pouvoir de la comédie de corriger les hommes et de les rendre meilleurs, l’indifférence du poète au bien qu’il pourrait produire ne saurait être trop sévèrement blâmée ; mais ce n’est pas au théâtre qu’est réservée pareille tâche, et l’action de la comédie ne va ni si haut ni si loin. Elle a bien quelque prise sur les ridicules ; encore n’en vient-elle pas à bout, car ils ne font que changer d’apparence et de nom, et la même somme en reste autrement répartie. Quant au vice, parce qu’il est éternel ici-bas au même titre que le mal dont il procède, la comédie, même la plus véhémente et la plus indignée, n’y peut rien, et son excuse serait au besoin dans son impuissance. Où trouver une pièce plus sévèrement morale que le Tartufe ? Certes on ne dira pas que là le vice soit peint sous de complaisantes couleurs qui le rendent encore plus intéressant que coupable, et le tableau est si terrible que nous en savons plus d’un qui n’y peut regarder encore sans se trouver à la gêne. Cependant Tartufe est-il mort ? Qui donc alors, essayant sur Molière une odieuse revanche, parlait hier de jeter à bas sa statue ?

Mais si la comédie ne corrige pas, du moins elle fait justice, et cet effet moral, le seul possible au théâtre, peut être produit de deux manières : ou bien tel personnage de la pièce, chargé moins d’agir que de juger les actions des autres, prononce les arrêts du poète, et c’est l’emploi des Ariste et des Philinte ; ou bien le poète, comme l’historien, expose sans conclure ; il ne démontre pas, il montre, laissant la morale se dégager elle-même de la peinture et du choc des passions, qui, sur la scène comme dans la vie, se punissent toujours l’une par l’autre. C’est cette dernière méthode que Regnard emploie de préférence ; or n’est-elle pas la plus naturelle, et souvent la plus efficace ? Avant tout, le spectateur veut se divertir au théâtre, par cela même peut-être qu’il vient de réfléchir avec les moralistes ; il veut qu’on l’amuse, non pas qu’on le prêche, et, plus vous lui donnez de leçons par une morale trop directe, moins il en accepte. Le dernier des spectateurs est aussi fier que Louis XIV : il veut bien prendre sa part du sermon, mais il n’entend pas qu’on la lui fasse.