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Les halliers où l’agneau paissait avec les loups,
Les mers où l’hydre aimait l’alcyon, et les plaines
Où les ours et les daims confondaient leurs haleines,
Hésitaient, dans le chœur des concerts infinis.
Entre le cri de l’antre et la chanson des nids.
La prière semblait à la clarté mêlée ;
Et sur cette nature encore immaculée,
Qui du verbe éternel avait gardé l’accent,
Sur ce monde céleste, angélique, innocent,
Le matin, murmurant une sainte parole.
Souriait, et l’aurore était une auréole.
Tout avait la figure intègre du bonheur;
Pas de bouche d’où vînt un souffle empoisonneur;
Pas un être qui n’eût sa majesté première.
Tout ce que l’infini peut jeter de lumière
Éclatait pêle-mêle à la fois dans les airs.
Le vent jouait avec cette gerbe d’éclairs
Dans le tourbillon libre et fuyant des nuées;
L’enfer balbutiait quelques vagues huées
Qui s’évanouissaient dans le grand cri joyeux
Des eaux, des monts, des bois, de la terre et des cieux.
Les vents et les rayons semaient de tels délires.
Que les forêts vibraient comme de grandes lyres;
De l’ombre à la clarté, de la base au sommet.
Une fraternité vénérable germait;
L’astre était sans orgueil et le ver sans envie;
On s’adorait d’un bout à l’autre de la vie;
Une harmonie égale à la clarté, versant
Une extase divine au globe adolescent.
Semblait sortir du cœur mystérieux du monde;
L’herbe en était émue, et le nuage, et l’onde.
Et même le rocher qui songe et qui se tait;
L’arbre, tout pénétré de lumière, chantait;
Chaque fleur, échangeant son souffle et sa pensée
Avec le ciel serein d’où tombe la rosée.
Recevait une perle et donnait un parfum;
L’être resplendissait, un dans tout, tout dans un;
Le paradis brillait sous les sombres ramures
De la vie ivre d’ombre et pleine de murmures.
Et la lumière était faite de vérité;
Et tout avait la grâce, ayant la pureté;
Tout était flamme, hymen, bonheur, douceur, clémence,
Tant ces immenses jours avaient une aube immense!