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souveraineté des habitans d’Utah, et résolut d’envoyer une expédition militaire dans ce territoire lointain. À ce moment même, les mormons demandaient officiellement à être admis dans l’Union. Deux de leurs apôtres, George Smith et John Taylor, vinrent apporter leur pétition au congrès. Ils démontrèrent en même temps, ce qui ne paraît avoir été que trop facile, que les juges expulsés par les habitans de la ville du grand Lac-Salé étaient de misérables aventuriers, d’une inconduite notoire, indignes de représenter la loi. Ils soumirent à l’approbation du congrès un projet de constitution, mais on refusa même de l’examiner. Les dispositions de M. Buchanan étaient à ce moment des plus belliqueuses. Les délégués repartirent pour Utah.

Aussitôt après son entrée aux affaires, M. Buchanan fit commencer les préparatifs de l’expédition. Ce n’est point chose facile que de traverser avec une armée, si faible qu’elle soit, l’immense espace qui sépare la vallée du Mississipi du grand Lac-Salé. L’expédition paraissait si pleine de périls, qu’on eut recours à la vieille expérience du général Scott, le héros de la guerre du Mexique. Il fut d’avis qu’il fallait consacrer l’année entière aux préparatifs de la campagne, et ne se mettre en route que le printemps suivant, en 1858. On n’écouta point ce sage conseil, et l’ordre du départ fut immédiatement donné. Le commandement de l’expédition fut assigné au brigadier-général Harney. L’armée devait comprendre le 5e et le 10e régiment d’infanterie, le 2e dragons et deux batteries d’artillerie légère, en tout 2,500 hommes environ ; mais, comme il fallait de toute nécessité emporter des provisions pour dix-huit mois, la petite armée se trouva aussi encombrée de bagages qu’une grande armée placée dans des circonstances ordinaires.

Au mois de juin 1857, les deux régimens d’infanterie étaient réunis au fort Leavenworth, sur les frontières de l’état de Missouri, sauf deux compagnies parties de Minnesota et encore en marche. Le 2e dragons était resté dans le Kansas, où le gouverneur le gardait pour intimider les habitans de la ville nouvelle de Lawrence et seconder le parti qui voulait imposer aux colons la constitution dite de Lecompton. Le général Harney lui-même n’avait pas quitté le Kansas, où il espérait pouvoir jouer un rôle qui lui semblait plus brillant que la répression des mormons. À cette époque, le service des communications postales avec Utah fut interrompu : depuis longtemps, on savait que les chefs mormons violaient le secret des lettres, et le gouvernement fédéral ne manquait pas d’excellens prétextes pour briser le contrat conclu avec les mormons pour le transport des dépêches : La suspension du service postal équivalait à une déclaration de guerre. Les mormons l’apprirent le jour même