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L’envoyé américain ne tarda point à reconnaître que la situation des mormons était désespérée, et qu’ils ne pouvaient tenir contre l’armée américaine ; il conçut alors le projet de mettre obstacle à une action militaire, et, arrivé au camp, il n’eut pas beaucoup de peine à faire partager ses sentimens au gouverneur Cumming. Quant au général Johnston, M. Kane ne jugea pas à propos de le mettre dans la confidence de sa mission. Pour lui rappeler son autorité, le général fit arrêter le commissaire extraordinaire : il argua ensuite d’une méprise ; mais l’irritation de M. Kane ne fut pas aisément apaisée : il » provoqua le général en duel, et il fallut l’intervention du juge, M. Eckels, pour mettre fin à ce regrettable et ridicule incident.

Peu de temps après, le gouverneur annonça au commandant de l’armée qu’il allait avec M. Kane se rendre à la ville principale des mormons pour traiter avec eux, et il se mit en route le 5 avril 1858. Les mormons reçurent leur gouverneur avec le plus grand respect et le reconnurent officiellement comme le représentant de l’autorité fédérale. M. Cumming demeura trois semaines au milieu d’eux, et inaugura dès lors la politique qui était à ses yeux la solution la plus naturelle et la moins cruelle de la difficile mission qu’il était, chargé de remplir. Il fit proclamer que dans le cas où des habitans d’Utah auraient l’intention de quitter le territoire et s’en croiraient empêchés par la crainte, le gouverneur les prenait sous sa haute protection et leur fournirait les moyens de retourner aux États-Unis. La tyrannie exercée par les chefs mormons est si inquisitoriale et si redoutable, que deux cents personnes seulement osèrent répondre à l’invitation du gouverneur : on les fit conduire au fort Bridger, où ces malheureux arrivèrent dans le dénûment le plus complet. Malgré les violentes diatribes dirigées par quelques mormons fanatiques contre M. Cumming, celui-ci ne se départit point de son attitude pacifique ; il fut sans doute ému de pitié en assistant au nouvel exode de ce peuple, tant de fois contraint de chercher un nouvel asile. Les mormons avaient en effet résolu de quitter tous leurs établissemens situés dans la partie septentrionale du grand Lac-Salé, ils voulaient abandonner la ville du grand Lac-Salé elle-même pour aller se concentrer dans les vallées méridionales des monts Wahsatch. Cette partie de la chaîne est encore inconnue aux géographes, et aucun voyageur ne l’a décrite ; mais les mormons l’avaient fait explorer et comptaient s’y réfugier. Abandonnant leurs maisons, leurs jardins, leurs champs, ils avaient commencé au mois de mars leur pénible marche vers le sud : campant à la belle étoile, suivis de leurs immenses troupeaux, de leurs femmes, de leurs enfans, ils n’avançaient qu’à petites journées. Au commencement du