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Nous croyons que les deux empereurs qui ont rédigé les préliminaires de Villafranca ne s’attendaient ni l’un ni l’autre à de tels résultats. L’empereur d’Autriche n’en avait assurément pas l’idée. On raconte qu’à Vérone il disait à ceux qui ne regardaient pas comme facile la restauration des princes : « Ne vous inquiétez pas de cela. Le duc de Modène a ici une petite armée, et il est sûr de rentrer chez lui au premier moment. » L’empereur des Français ne partageait pas sans doute cette confiance ; mais lorsqu’il consentait à ne point s’opposer à la rentrée des princes, il ne pensait pas que les populations de l’Italie centrale fussent si mûres pour l’indépendance et pour la liberté. Il faut louer les rares qualités que ces populations viennent de montrer, mais il faut aussi reconnaître le mérite des chefs qu’elles se sont donnés. On sent dans la direction de ce mouvement l’action d’une forte pensée politique que servent par leurs qualités diverses les différens chefs : à Parme et à Modène par exemple, M. Farini avec son ardeur expansive ; à Florence surtout, M. Ricasoli avec cette fermeté habile, simple et froide, qui vient de révéler en lui un véritable homme d’état.

Ce n’est point en effet aux. Elans de l’engouement et aux impulsions incertaines d’une émotion imprévoyante que l’Italie centrale s’abandonne : : elle suit une politique dont les adroites combinaisons sont clairement visibles et ont déjà produit des résultats qui, quoi qu’il arrive, exerceront une longue influence sur les destinées de l’Italie. Que l’on se reporte à l’époque des préliminaires de Villafranca. Cette paix laissait dans l’Italie centrale trois difficultés à résoudre, et il devait sembler en ce moment que ces difficultés, peu graves à les considérer isolément, seraient résolues séparément. Il y avait la question de Parme, dont il n’était pas même fait mention dans le traité ; la question de Modène et de Toscane, la seule dont il fût parlé ; la question des légations. Si la rentrée du duc de Modène dans ses états eût été aussi facile que le supposait l’empereur d’Autriche, la Toscane n’eût pas tardé à recevoir le grand-duc : une médiation clémente eût rétabli sans peine le pape dans les légations, et l’on eût fait à Parme ce qu’on aurait voulu. Les directeurs du mouvement de l’Italie centrale ont conjuré avec une promptitude très habile ce danger de la division : ils ont, par la ligue, réuni les trois intérêts que menaçaient les restaurations, et à l’aide d’une fusion d’une nouvelle nature ils ont rendu les trois difficultés de l’Italie centrale solidaires, grossissant chacune d’elles de la gravité des deux autres. Ces difficultés ne peuvent plus désormais être résolues isolément et tour à tour. L’on ne pourra toucher aux légations sans engager militairement la Toscane et les duchés ; l’on ne pourra toucher aux duchés sans engager les légations. L’acte qui a établi cette solidarité a une grande importance pratique, et exclut toute idée de restauration de l’un des princes par la force. Cet acte a donné aux gouvernemens provisoires de l’Italie centrale une première sécurité militaire très respectable, et qui leur permet de poursuivre tranquillement le : développement naturel de leur travail politique intérieur.

Après avoir laissé faire à l’Italie centrale un, si grand pas, nous ne saurions comprendre que l’on pût conserver la pensée d’y opérer la restauration des princes déchus. Accomplir cette restauration par la force nous a toujours paru une impossibilité morale, la France ne pouvant ni prêter