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de 1678 pour le midi. Arrivé à Montpellier au milieu d’octobre, il n’y est pas depuis quinze jours qu’il retourne soudainement à Paris, rappelé sans doute par lord Shaftesbury. Il ne quitte pas cependant la France immédiatement, et ce n’est que le 8 mai 1679 qu’il arrive à Londres par la Tamise.

Ces allées et venues ne sont point expliquées dans son journal, et sa santé ou le besoin de distraction dut le plus souvent déterminer ses marches et ses haltes. À Montpellier, on ne voit point qu’il ait profité, pour de nouvelles études, du séjour d’une ville qui passait pour savante. On ignore s’il y forma quelque relation qui lui fût précieuse ; il n’en eut d’intime qu’avec Thomas Herbert, qui s’y trouva en même temps que lui. C’est celui qui, devenu comte de Pembroke, lui témoigna une constante amitié, et à qui est dédié l’Essai sur l’Entendement humain. À Paris, où Locke demeure une fois près de treize mois de suite, où il revient pour y rester cinq mois encore, on dirait, à lire son journal, qu’il n’a regardé qu’à ces curiosités extérieures qui attirent les touristes ordinaires de sa nation. Rien n’annonce qu’il ait recherché la société des hommes distingués en tout genre qui illustraient alors notre pays. Il y arriva au moment où Louis XIV soutenait avec un grand éclat une guerre triomphante contre l’empire, l’Espagne et la Hollande. Pendant son séjour, il vit conclure cette paix de Nimègue, où le vainqueur parut l’arbitre de l’Europe et humilia la Hollande, malgré l’Angleterre frémissante et le prince d’Orange indigné. Pas un mot de la main de Locke n’indique un peu d’attention donnée à ces grands événemens qui agitaient l’opinion dans sa patrie et commençaient à ébranler ou du moins à décrier le gouvernement des Stuarts. Il aurait pu chercher ou rencontrer Colbert et Louvois, Bossuet et Fénelon, Corneille et Racine, La Rochefoucauld et La Bruyère, enfin Bayle, Arnauld, Malebranche ; mais il n’est pas sûr que tous ces noms lui fussent connus. L’éclat de quelques-uns ne faisait que de naître, et les trois derniers, quoique noms de philosophes, étaient peut-être indifférens à un homme qui pouvait n’être pas encore bien sûr d’être un philosophe lui-même. Il ne paraît avoir formé en France de liaison qu’avec Guénelon, médecin hollandais de quelque réputation, qu’il devait plus tard retrouver à Amsterdam, Nicolas Thoynard, le savant auteur d’une Harmonie des Évangiles encore estimée, et un protestant érudit, Henri Justel, qui avait fait de sa bibliothèque et de sa maison le rendez-vous des gens de lettres, qui eut l’honneur d’y recevoir Leibnitz, et qui bientôt, prévoyant les persécutions religieuses et fuyant les préludes de la révocation de l’édit de Nantes, se retira à Londres en 1681 et y devint bibliothécaire du palais de Saint-James. C’est chez lui probablement