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point un homme tel que Locke dupe des qualités au point d’ignorer les défauts, ni aveugle pour le mal, parce qu’il est touché du bien. Un philosophe de beaucoup d’esprit voit tout, apprécie tout, et sans croire que la perfection morale accompagne nécessairement la supériorité active et courageuse, il n’est pas insensible aux qualités séduisantes ; il n’est pas injuste pour certaines vertus publiques qui persistent au milieu des artifices de l’ambition luttant contre une cour avec un parti. Shaftesbury plaisait beaucoup à Locke ; il lui avait rendu service, et tous deux étaient whigs : cela suffit pour tout expliquer.

Cependant la situation générale était de celles qui veulent de l’action : Locke n’avait à offrir à ses amis que des vœux et des conseils. Le retour de ses infirmités lui rendait impossible de séjourner longtemps à Londres, et aux approches de l’hiver, il retourna à Oxford. Il ne s’y confina pas tellement dans l’étude qu’il ne secondât franchement Shaftesbury et son parti dans les élections subséquentes, et il attendit les événemens.

La chambre des communes ayant sans division voté que la religion du duc d’York, héritier présomptif de la couronne, était un grand encouragement aux conspirations et aux desseins des papistes, le roi répondit par une dissolution, et le président de son conseil ne s’épargna nulle peine pour lui renvoyer une chambre obstinément fidèle à la politique qui venait de faire dissoudre la dernière. Le duc d’York étant accouru d’Ecosse auprès de son frère malade, Shaftesbury convoqua le conseil à White Hall, et voulut lui faire délibérer que la présence du duc auprès du roi était un danger public. En conséquence la présidence du conseil lui fut enlevée. Le roi se crut même assez fort pour ne pas rassembler le parlement. C’est alors que Shaftesbury, dont l’esprit et le courage étaient inépuisables, présenta dans Westminster Hall, à la cour du banc du roi, une dénonciation en forme contre le duc d’York, comme récusant papiste, ce qui aux termes des lois entraînait la privation de tout emploi public et une absolue déchéance dans le présent et dans l’avenir. Cette dénonciation est revêtue de quinze signatures, et elle porte des noms qui expliquent pourquoi il y a une aristocratie en Angleterre.

Le roi alarmé espéra calmer les esprits en convoquant le parlement ; mais l’exclusion du duc d’York fut une des premières mesures débattues à la chambre des lords. Shaftesbury la soutint avec énergie, le roi présent, et le parlement, encore prorogé, encore dissous, fit place à un nouveau, qui dut se réunir à Oxford (21 mars 1681). On s’y rendit armé. Dès le second jour, Shaftesbury proposa que la chambre se formât en comité, afin de rechercher ce qu’il