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XVII, XVIII et XIX du livre IV de l’Essai sur l’Entendement humain. Ces chapitres, très bien faits et auxquels il est remarquable que dans son commentaire Leibnitz adhère expressément, concluent à la condamnation de tout enthousiasme comme principe de croyance, et à la distinction, mais à la conciliation, entre la raison et la foi, en ce sens que la foi peut suppléer la raison pour tout ce qui est, non contre la raison, mais au-dessus d’elle. En d’autres termes, la foi est mise sous le contrôle de la raison, qui n’est pas tenue de démontrer tout ce qu’elle admet, mais qui ne doit admettre que ce qu’elle approuve.

On voit combien Locke est réservé sur le dogme. Le ton afïirmatif des écoles théologiques le détournait de beaucoup affirmer ; mais il serait injuste de prendre ses omissions pour des négations. Son but est de montrer qu’on peut être chrétien et comment on doit l’être plutôt que d’établir en quoi consiste dans toutes ses parties la doctrine chrétienne. Il veut fonder la foi à la religion plutôt qu’exposer la religion même. Naturellement aucune orthodoxie à formulaire ne peut se contenter de si peu. Il devait donc s’attendre que quelque église lui chercherait querelle, et le premier théologien qui s’en avisa fut le fils de Thomas Edwards, l’écrivain presbytérien qui, du temps de la révolution, avait fait si rude guerre aux indépendans. Dans ses Pensées sur les causes de l’athéisme (1695), le docteur John Edwards inséra un discours sous ce titre : le Socinianisme démasqué, où il attaque Locke avec une vivacité presque injurieuse. Le philosophe répondit avec modération par deux écrits successifs, les seuls qu’il avoue dans son testament. Cependant on lui attribue, sans preuve certaine, un ouvrage anonyme de la même date, intitulé : Examen des objections de M. Edwards, et dans lequel la doctrine unitairienne est plus ouvertement confessée. Plusieurs passages y rappellent sa manière, et l’évêque Law, son biographe et son éditeur, a cru l’y reconnaître. Dans ses apologies avouées, l’argument principal de Locke est toujours que le socinianisme ne peut être le défaut d’un livre où il n’y a pas un mot de socinianisme ; il entend par là que le socinianisme n’y est nulle part soutenu, et il se félicite d’ailleurs de se voir ranger sur la même ligne que deux éminens prélats, Taylor et Tillotson. Cette discussion se confondait d’ailleurs avec celles que l’Essai avait excitées. Dès qu’il avait paru, on avait peu tardé à en considérer la publication comme un événement dans l’histoire de la pensée. Ce qui prouve combien le public anglais était à cette époque curieux de spéculations intellectuelles, c’est qu’un ouvrage aussi sérieux, écrit sans beaucoup d’art, et dont une diction simple et coulante était la seule parure, eut en quatre ans quatre éditions. Il n’en aurait pas tant