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comme eux. Or quel moyen de supposer qu’il ait été la dupe d’une illusion en se croyant le disciple de Locke, et sans l’acquitter du reproche d’avoir aggravé sa doctrine, comment prétendre qu’il n’en ait rien pris, et ne lui ait pas dû une seule de ses erreurs ? Faites aussi grande que vous voudrez la part additionnelle d’empirisme exclusif apportée par les successeurs de Locke à sa philosophie, il faut bien qu’il soit pour quelque chose dans ce qu’on a répété en son nom, qu’il soit au moins le fondateur involontaire de l’école qui l’a proclamé son chef.

Ce ne serait là qu’un fait, et qui ne déciderait rien sur le fond des idées. Nous ne pouvons, après tant d’autres, donner une exposition de la doctrine de Locke, et il le faudrait pour démontrer s’il est, oui ou non, l’auteur du mouvement d’opinion auquel on le veut rendre étranger. Plutôt que de discuter ce point en détail avec M. Tagart, qu’il nous permette de le renvoyer à l’examen méthodique qui remplit tout un volume de l’Histoire de la Philosophie au dix-huitième siècle[1]. C’est une chose avouée, ce me semble, que, toute opinion sur le fond mise à part, M. Cousin n’a jamais donné de meilleure preuve de celui de ses talens qu’admirent même ses plus grands adversaires, le talent de l’exposition et de la critique. Cependant, le dirai-je ? M. Tagart, qui cite plus d’une fois M. Cousin, qui se montre informé des travaux de la philosophie française avec une exactitude bienveillante, dont nous devons nous déclarer personnellement reconnaissant, ne semble se rappeler de M. Cousin sur Locke que ses jugemens généraux, et ne fait nulle part allusion à ce commentaire en un volume dont on ne peut pas plus se passer aujourd’hui que des Nouveaux Essais de Leibnitz, quand on entreprend de juger la philosophie de Locke pour la condamner ou pour l’absoudre[2].

Locke a eu le mérite d’écrire sur la philosophie dans la langue de tout le monde. Il avait en aversion la scolastique et son langage. Rendue accessible à tout esprit sérieux, la philosophie devait être plus utile et en même temps plus raisonnable et plus vraie ; mais, en évitant d’être technique, on court le risque d’être moins précis et moins exact. On s’expose à ne pas employer les termes avec une propriété constante, avec une valeur bien déterminée. L’équivoque, la métaphore, l’à-peu-près sont des défauts auxquels les plus habiles se soustraient malaisément, et l’opinion unanime des critiques nous

  1. Cours de l’Histoire de la Philosophie moderne, 2e série, t. III.
  2. Nous ferons remarquer à cette occasion à M. Tagart qu’il a attribué par erreur à M. Cousin un passage de l’éloge de Descartes par Thomas, placé en tête de son édition de Descartes, Locke’s Writings, p. 196, quoiqu’il ait bien aperçu que ce passage contenait des choses peu conformes aux opinions philosophiques de M. Cousin.