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être vivant que nous eussions trouvé dans les ruines de Mombalère était un petit cheval noir au poil bourru et à la crinière inculte. Ses formes étaient charmantes, comme celles de presque tous les chevaux sauvages du pays. Il se montra longtemps indomptable, il fallut bien pourtant qu’il cédât ; il avait affaire à une personne presque aussi sauvage et plus énergique que lui. Marceline eut raison des résistances du poulain, et ce fut bientôt sa monture habituelle. Quand on l’envoyait à Nogaro ou à Mombalère faire des commissions, elle enfourchait le cheval, jambe de ci, jambe de là, sans selle, et le maintenait seulement à l’aide d’un grossier licol tressé avec des joncs. Une fois monté, le cheval partait au grand galop et dévorait l’espace avec une rapidité qui effrayait les passans. Il avait même fini par accepter ce servage, il suivait Marceline comme un chien et s’approchait à sa voix. Ce fut sur ce cheval que je pris mes premières leçons d’équitation. Il s’habitua bientôt à moi, et nous l’appelâmes Alphane : nous avions trouvé ce nom dans Boileau, le seul livre un peu sensé qui fût au château. Pour le récompenser de sa docilité, nous lui achetâmes une selle et une bride, et pour m’exercer, ma sœur m’envoyait tous les jours faire une promenade à cheval.

Mon professeur d’écriture mérite lui aussi une mention. C’était un huissier qui se nommait Briscadieu ; il était montagnard et avait une très belle main. Il peignait à ravir, comme on dit en province. Briscadieu ne jouissait pas d’une bonne réputation dans le pays. Il était, disait-on, débauché et fripon. Il servait de limier et de rabatteur aux avoués du chef-lieu d’arrondissement, et abusait outre mesure de la simplicité des paysans et de leur ardeur pour les procès. Il était grand buveur et grand coureur de filles, et joueur par-dessus tout : il eût joué sous l’eau. Il avait environ quarante ans lorsque je le vis pour la première fois. C’était un homme de grande taille, à large carrure, et dont la voix timbrée dans les notes basses faisait trembler les vitres de l’église de Mombalère quand il chantait au lutrin. Ses traits étaient réguliers, quoiqu’échauffés par la débauche, et sa physionomie manquait de franchise. Il se montrait envers tous les membres de notre famille d’une obséquiosité vraiment ridicule. Il ne nous adressait la parole qu’à la troisième personne, et ce fut avec la plus grande humilité qu’il sollicita de Mlle de Mombalère l’autorisation de donner des leçons d’écriture à M. le chevalier. Zulmé avait la plus complète confiance en lui. Quelques créanciers étaient venus nous relancer à Mombalère. Lorsque nous étions grêlés ou gênés pour payer les intérêts, Briscadieu, qui était porteur des titres de poursuite, savait toujours accommoder les choses en nous accordant du temps. En réalité, il touchait cependant le plus clair des revenus que, grâce au travail de Marceline