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modes, et j’imagine, quoi que je pusse faire là de moi-même, que connaître ce que d’autres y font serait au moins la moitié de ma besogne. Or je ne sais pas au monde, pour mettre un homme à la question et tirer de lui ses pensées, de procédé qui vaille une bouteille bien employée. À talens égaux, l’homme qui saurait boire sa bonne part vaudrait mieux pour les intérêts du roi que le plus sobre du royaume. »

La modeste et juste ambition de Locke eût été de recouvrer sa place d’étudiant à Christ Church. On a déjà vu qu’il adressa une pétition au roi ; mais il aurait fallu faire une vacance par une destitution, ou lui donner en expectative un titre de surnuméraire. Aucun de ces expédiens ne lui convenait, et il en resta là ; par les soins de lord Peterborough[1], une modeste place dans l’excise lui fut offerte : il l’accepta, et demeura commissaire des appels, au traitement de 200 livres par an, depuis le mois de mai 1689 jusqu’à l’automne de 1704, époque où Joseph Addison lui succéda.

Un des premiers soins de Guillaume III fut la liberté de conscience. Il eût voulu la porter bien au-delà de ce qu’en pouvaient accepter les préjugés de ses nouveaux sujets. Il fut obligé de négocier et de se contenter d’une tolérance réduite à l’exemption des lois pénales pour tous les dissidens protestans. Au premier moment, par respect pour le dogme de la trinité, les unitairiens eux-mêmes furent exclus de l’impunité, quoique l’impunité de fait fût bientôt acquise à toutes les sectes. Certaines lacunes de la loi, le progrès des opinions et des mœurs, l’influence des autres libertés protectrices du citoyen anglais, donnèrent d’assez bonne heure à la Grande-Bretagne, à défaut d’une législation systématiquement impartiale, une indépendance religieuse qui pouvait être enviée de presque tout le reste de l’Europe. Locke méditait et conseillait mieux que ce que Guillaume put accomplir.

La première lettre sur la tolérance n’avait paru qu’en latin. Elle fut traduite en anglais par le révérend Popple dans le cours de l’année 1690, et accompagnée d’une seconde lettre. La troisième suivit en 1692. Locke se plaint à Limborch des embarras que lui a causés la première publication, même en latin, d’opinions aussi nouvelles encore sur les droits de la conscience[2]. Il paraît qu’il ne tarda point à rencontrer moins de défaveur, puisqu’il permit une traduction de son ouvrage, et qu’il ne craignit pas de le résumer ainsi dans la préface : « Une liberté absolue, une juste et véritable liberté, une liberté égale et impartiale, voilà ce dont nous avons besoin. »

  1. Il était premier commissaire de la trésorerie.
  2. « Nescis in quas res me conjecisti. » King, II, p. 311.