Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/413

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre-balancer cette douleur. Briscadieu nous donnait de temps en temps des nouvelles de notre cousin, qu’il rencontrait dans les marchés. Il affirmait que le comte demeurerait célibataire, et que son immense fortune ne pouvait manquer de nous revenir. S’il en eût été ainsi, je crois que Zulmé lui eût pardonné, d’abord parce que la femme du comte eût été pour elle une rivale heureuse, et surtout parce qu’une pareille succession eût relevé la maison de Mombalère, car ma pauvre sœur eût sacrifié tous ses sentimens à la résurrection éclatante du nom qu’elle portait. Les prédictions de Briscadieu ne se réalisèrent pas. Nous apprîmes par une lettre de faire part que le comte s’était marié avec une Parisienne. Le stoïcisme de Zulmé ne tint pas devant cette nouvelle. Elle jura une haine éternelle à cette inconnue, qui par son entrée dans notre famille déjouait toutes nos espérances. Le soir, au coin du feu, il lui arrivait souvent de faire de cette Parisienne un portrait de fantaisie qui n’avait rien d’attrayant. Chaque fois qu’elle parlait d’elle, elle la dotait d’un ridicule nouveau. Marceline imitait sa maîtresse, de telle sorte que la malheureuse comtesse était devenue une sorte de quintaine sur laquelle les solitaires de Mombalère essayaient leur verve ironique quand ils n’avaient rien de mieux à faire. C’était donc à regret que Zulmé m’envoyait auprès de cette Parisienne si détestée. Elle comprenait cependant que je ne devais pas toujours rester à Mombalère, et que le comte pouvait m’ouvrir une carrière. En conséquence, elle commença dès le lendemain à préparer ce qu’il me fallait pour mon voyage.

III.

Le jour de mon départ arriva. Zulmé et Marceline, dès la veille, avaient les larmes aux yeux. On avait longuement débattu la question de mon costume ; enfin, pour mon malheur, Zulmé avait trouvé dans la garde-robe de famille un assemblage de vêtemens qui dataient du consulat. Je me laissai faire. Comme un jeune sauvage, je fus séduit par l’éclat des boutons dorés qui ornaient le frac bleu barbeau et par l’appétissante couleur du gilet jaune. La culotte à rubans un peu ternis était trop large, il en était de même des bottes à revers cirées à l’œuf par Marceline ; mais les éperons rendaient un si joli son ! Le matin de ce jour solennel, Zulmé, qui avait mis un vieux chapeau à plumes pour se rendre plus imposante, m’appela dans l’embrasure de cette fenêtre, et là elle me donna quelques conseils. — Pauvreté oblige, me dit-elle, ne te laisse pas insulter par ces crésus, et surtout par cette Parisienne moqueuse. S’ils ne te reçoivent pas comme ils le doivent, reviens