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de Walter Scott, qui étaient alors dans toute leur nouveauté. Nous faisions un peu de musique. Elle essayait de m’apprendre la botanique à l’aide d’un très bel herbier qu’elle possédait. Je parvins même à vaincre la répugnance qu’elle éprouvait à sortir pendant le jour. Le comte, avec beaucoup de bonne grâce, je dois le dire, mit deux de ses chevaux à notre disposition. Pendant deux ou trois heures chaque jour, nous allions nous promener à travers les prairies ou dans les sentiers d’une grande forêt qui dépendait du château. Il nous arrivait aussi quelquefois de sortir le soir et d’aller nous asseoir dans le parc. Nos conversations étaient fort innocentes : nous causions de la lune, des étoiles, des autres mondes, du roman que nous avions lu la veille. Peu m’importait le sujet de la conversation, pourvu que je l’entendisse parler. Quelquefois le comte passait auprès de nous, et il ne manquait jamais de me menacer du doigt et de me dire en riant : — Chevalier, chevalier, cela finira mal !

Il y avait plus de six semaines que j’étais au château, et je ne songeais guère à le quitter. Je n’avais écrit qu’une fois à Zulmé, et ma lettre était presque entièrement consacrée à l’éloge d’Hortense. Ma prudente sœur m’avait répondu longuement. Elle me rappelait de veiller à la conservation du louis d’or, et me conseillait de me défier des Parisiennes, qui étaient considérées comme les personnes les plus astucieuses du monde entier ; elle m’invitait à lui indiquer dans ma prochaine lettre l’époque de mon retour. Hélas ! ce retour devait être plus prompt que je ne croyais.

Le comte me traitait toujours avec la même bienveillance ; mais il était une personne qui me montrait une affection dont je me fusse bien passé : c’était Marinette. Chaque fois qu’elle me rencontrait, elle ne manquait jamais de m’interpeller en patois et de me parler des jeunes filles de Mombalère ; elle me demandait s’il n’y en avait pas quelqu’une dont je fusse le galant. Je déclare que le sens de la fatuité me manquait alors entièrement ; je ne compris pas ce que voulait cette autre délaissée, et comme la conséquence de mon adoration pour la comtesse était de ma part le mépris le plus absolu pour cette fille, je lui répondis avec une brusquerie qui approchait de l’impolitesse. Elle se vengea avec une noirceur toute méridionale. J’ai dit que le caractère de la comtesse était éloigné de toute coquetterie ; mon amour, si bien contenu qu’il fût, n’en était pas moins parvenu à se faire jour. Elle comprit qu’il allait devenir dangereux pour moi. Malheureusement il n’existait qu’un seul moyen de combattre cette passion naissante : c’était une séparation immédiate, et il lui en coûtait de renvoyer le seul être qui depuis longtemps eût adouci ses heures de réclusion. Il le fallait cependant, et elle commençait à me railler doucement sur ce que j’oubliais Mombalère