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empiétemens, dans la Baltique pour surveiller un essor maritime qui lui porte ombrage, sur les côtes d’Afrique pour réprimer la traite des noirs, dans les colonies d’origine espagnole pour y assurer la prépondérance de son pavillon. Ainsi elle voit s’éparpiller ses bâtimens de moyenne et de petite grandeur ; s’ils portent au loin son influence et son nom, ils sont presque perdus pour sa défense. Ses vaisseaux même ne peuvent tous y veiller ; il y a un partage obligé entre les deux grands théâtres des opérations militaires, la Manche et la Méditerranée. Plus elle étend sa force dans des parages éloignés, plus elle s’affaiblit dans le siège de son empire, et cela au point qu’en faisant tout trembler au dehors, elle peut en être réduite à trembler pour elle-même. Telle est l’expiation d’un développement poussé à outrance. Et que serait-ce si une alliance avec les marines secondaires fournissait à la France l’appoint qui lui manque pour rétablir à son profit la balance des forces, et lui donnait le goût d’une revanche des désastres et des humiliations que la main de l’Angleterre lui a infligés dans le cours des siècles !

Quand on se place à ce point de vue, les inquiétudes se justifient mieux, et on s’explique que des personnages parlementaires, lord Lyndhurst, des notabilités militaires, sir John Burgoyne, le général Shaw Kennedy, les aient jusqu’à un certain point partagées. Elles ne résistent pas cependant à un examen sérieux. Ne gardât-elle pour la défense de ses côtes que quarante vaisseaux à hélice, l’Angleterre pourrait encore, comme on dit familièrement, dormir sur les deux oreilles. Si ses forces sont dispersées, les nôtres ne le sont pas moins ; nous ne pourrions pas les concentrer sans imprudence. Toulon ne peut pas être dégarni au profit de Cherbourg ; on ne laissera jamais sans vaisseaux ni Brest ni Rochefort : il y a donc là une répartition à faire. L’Algérie est garantie contre la conquête par notre armée de terre ; elle ne serait protégée contre une insulte que par une escadre. Toute nation a des embarras de position ; nous n’en sommes pas plus exempts que d’autres. L’incomparable avantage de l’Angleterre, c’est de n’avoir de craintes que du côté de la mer ; outre celles qui nous viennent de là, nous avons celles que peuvent nous donner nos frontières. Si nos voisins se sentaient menacés, leur esprit remuant ne leur ferait pas défaut ; ils auraient vite retrouvé le secret de ces diversions qui nous furent si funestes sous le premier empire. Aux ressources de la diplomatie, ils ajouteraient au besoin les subsides, qui tentent et entraînent les états appauvris.

Cette chance vînt-elle à lui manquer et fussions-nous libres du côté du continent, l’Angleterre trouverait dans la nature même de ses populations des motifs de se rassurer. Le matériel n’est pas tout