Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouvernement, sur la métaphysique, sur la religion, sans éveiller la critique, sans exciter des doutes et des ombrages. La dignité calme, la gravité courtoise, le langage modeste et mesuré de Locke cachaient, sans la détruire, l’âpreté d’un esprit plus absolu qu’il ne le laissait voir, et tous ceux dont par ses principes il réfutait les doctrines ou condamnait les croyances ne pouvaient le laisser jouir en paix d’une autorité incontestée dans le royaume des intelligences. Ses ouvrages furent tous attaqués, attaqués à plusieurs reprises, et à plusieurs reprises aussi il fut obligé de les défendre. En cherchant à les apprécier, nous dirons plus tard un mot de cette polémique. Constatons seulement qu’elle ne paraît pas avoir beaucoup troublé sa tranquillité. L’indépendance de ses opinions était si vraie qu’elles défiaient toute agression. Une méditation sérieuse et prolongée avait rempli son esprit de partis-pris sur lesquels il était bien assuré de ne pas revenir. Il répondait donc à toutes les attaques avec un calme animé quelquefois par un ton railleur qu’il réservait pour certains adversaires. On voit dans ses lettres qu’il ne leur portait pas en général une haute estime, et Leibnitz lui-même lui imposait médiocrement. Ce n’est pas qu’il n’examine avec attention les critiques qu’il trouve plausibles. Il cherche à satisfaire aux objections de ses amis. Sur les points douteux, il s’exprime avec une grande sincérité, et en particulier sa correspondance avec Molyneux le montre sans cesse occupé de ces problèmes délicats qui flottent entre la physique et la métaphysique, et que l’on dédaigne trop aujourd’hui. Molyneux, comme l’on sait, était un Irlandais solidement et diversement instruit, membre de la Société royale, honoré de l’amitié de Locke et de Newton, et qui a rempli ses lettres de nouvelles et de questions intéressantes pour l’histoire des sciences au XVIIIe siècle. Les lettres de Locke les plus curieuses sont peut-être celles qu’il écrit à Molyneux. On comprend d’ailleurs que sa correspondance soit plus instructive que divertissante. C’est assez le cas de celle de tous les hommes de ce temps-là : il faut absolument les lire avec un but, car l’esprit de recherche donne de l’intérêt à tout.

Parmi les amis de la vieillesse de Locke, la justice ne permet pas d’oublier un Français, Pierre Coste, qui se dévoua à la propagation de ses idées et de sa renommée. Né en 1668, la révocation de l’édit de Nantes lui avait fermé les portes de sa patrie. Après avoir cherché à se fixer dans les universités ou les églises de Hollande, il vint en Angleterre vers 1 697, déjà recommandé à Locke par deux traductions françaises qu’il venait de publier de ses ouvrages sur l’éducation et sur le christianisme. Accueilli par lui avec bonté, il s’attacha à sa personne, et fit sous ses yeux la seule traduction de