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tachés d’usure. — C’est de la probité paradoxale, disait le notaire, qui voulait, à l’aide d’un bon procès, faire réduire de moitié le chiffre de certaines créances. — Sa liquidation achevée, M. d’Auberive restait maître d’une somme ronde. M. Lecerf ne la lui remit pas sans de vives appréhensions, qu’il n’eut garde de lui cacher. — À votre tour, prêtez donc sur premières hypothèques, lui disait-il ; c’est aussi amusant que des sottises, et ça rapporte !

La première pensée de M. d’Auberive avait été de partir pour un long voyage ; mais il se souvint de la promesse qu’il avait faite à Mlle Des Tournels et plaça ses fonds dans une compagnie industrielle qui, en échange, le nomma à un emploi de secrétaire-général. — J’ai perdu la femme, disait-il ; le travail me reste, essayons-en.

IV.

Deux ans après le mariage de Lucile et de Berthe, M. et Mme de Sauveloche habitaient du 1er décembre au 1er juin le rez-de-chaussée d’un bel hôtel situé Grande-Rue-Verte ; M. et Mme Claverond n’avaient pas quitté l’hôtel de la rue Miromesnil et vivaient avec M. Des Tournels. Berthe en avait fait la seule condition de son consentement. Les bureaux de M. Claverond étaient rue Basse-du-Rempart. En été, Lucile partait pour la terre de Sauveloche, où son père et sa sœur passaient six semaines ou deux mois ; à son tour, en automne, elle les rejoignait à la Marelle, où Gaston tirait des chevreuils et des sangliers, après avoir tué des perdreaux et des lièvres aux bords de l’Allier. Pendant l’hiver, les deux sœurs se voyaient tous les jours, chose rare à Paris, et dînaient fréquemment l’une chez l’autre. Berthe avait une fille, et Lucile un fils. Le plus habile observateur n’aurait pas découvert l’ombre d’un nuage dans les deux ménages. Une personne qui n’aurait pas vu Berthe depuis l’âge de seize ans ne l’aurait pas reconnue. Elle était extraordinairement répandue dans le monde, très brillante, très fêtée et l’une des femmes qui semblaient se plaire le plus dans le mouvement et le bruit de Paris. Sa maison était ouverte à la meilleure société, et l’on se serait fatigué à compter le nombre de visites qu’elle recevait dans une semaine. Vers la fin du carnaval et dans le carême surtout, qui est la saison où l’on s’amuse le plus à Paris, elle allait presque chaque soir dans deux ou trois bals où elle ne manquait ni valses ni mazurkas. Seule, sa sœur tenait tête à Mme Claverond ; mais, de ce côté-là, Lucile n’avait point changé. Gaie, heureuse, évaporée, bonne, prête à tout, elle traversait la vie comme un oiseau le feuillage d’un arbre en fleurs. Le théâtre l’amusait comme le bal, le