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telles que Patras, Missolonghi, Corinthe, Thèbes, Argos, Athènes, ont surgi des décombres, et offrent un aspect d’aisance et de progrès. La marine marchande a repris tout son essor ; cinq mille navires, occupés par quarante mille matelots, sillonnent l’Océan et la Méditerranée, et enrichissent les ports de Patras, Spezzia, Chalcis, Galaxidi, Poros, de Syra surtout, qui est le centre autour duquel gravitent aujourd’hui tous les intérêts de la marine grecque. C’est aussi par la rapidité de sa renaissance intellectuelle que la nation grecque remonte au niveau des autres nations civilisées. Les Hellènes sont vivement préoccupés de science, de littérature, de poésie, de tout ce qui intéresse la pensée, de tout ce qui sourit à l’imagination. Aussi, lorsque leurs primats s’assemblèrent sous les orangers d’Épidaure pour jeter les bases d’une constitution, ils comprirent qu’il fallait satisfaire tout d’abord à ces nobles instincts, et le second décret qu’ils promulguèrent eut pour objet l’organisation de l’instruction publique. En peu de temps, des écoles furent établies de toutes parts, et ce mouvement retentit jusque dans les classes les plus pauvres de cette société naissante[1]. La Grèce est aujourd’hui dotée de plus de quatre cents écoles ou collèges, que fréquentent cinquante mille élèves. Si le petit royaume grec, tel qu’il est constitué, ne peut aspirer à de bien vastes destins, il est du moins le centre où s’entretiennent les germes de civilisation qui renouvelleront un jour la face de l’Orient. Les Grecs vivent dans l’espoir que ce jour n’est pas éloigné d’eux ; ils sont impatiens de franchir leurs étroites frontières, et de consommer l’œuvre de l’émancipation nationale par la complète délivrance de la race hellénique répandue sur tout le territoire de la Turquie d’Europe. Quelle que soit pourtant cette impatience, et quelle que soit la tyrannie par laquelle les Turcs cherchent à étouffer dans le sein des populations chrétiennes encore soumises à leur joug la passion de liberté et de nationalité qui n’a cessé de couver en elles, le peuple grec ne peut songer à recommencer la lutte de l’indépendance, car l’Europe ne s’associerait point aujourd’hui à cette tentative, et lui reprocherait d’avoir inopportunément troublé sa précaire tranquillité. D’ailleurs la Turquie s’en va d’elle-même, le colosse ottoman s’affaisse ; la jeune Grèce doit assister froidement à cette agonie et se garder d’en précipiter le terme par une commotion violente. Son intérêt véritable est d’attendre, de laisser agir le mal sans remède qui emporte son caduc ennemi dans la tombe, et de se préparer avec calme et prudence au grand rôle qu’elle est appelée à jouer dans les destinées de l’Orient.


E. YEMENIZ.

  1. Voyez, sur l’Instruction publique en Grèce, une étude de M. Ampère, Revue du 1er avril 1843.