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France, le torse élégamment cambré, les chairs potelées et solides, le grain de la peau d’une finesse extrême. Leurs mains au toucher onctueux, aux doigts effilés, aux ongles longs, taillés en amande, luisans comme l’agate et amoureusement soignés, sont en général d’une beauté surprenante. Peu de femmes au monde ont plus de grâce, sinon dans leurs mouvemens, au moins dans leurs poses, et les femmes des archipels les plus voisins, les Taïtiennes si vantées, semblent de lourdes, épaisses et brunes campagnardes, comparées aux filles de Nukahiva, si légères des pieds à la tête.

En général, aux Marquises, les traits du visage nous paraissent chez la femme moins corrects et moins purs que chez l’homme, peut-être parce que nous sommes accoutumés à exiger davantage de sa beauté plastique. La chevelure, épaisse, un peu rude, chatoyante de lotions huileuses, relevée avec les doigts, retombe sur les épaules et encadre un visage d’une pâleur chaude comme le bois de santal. Le front est découvert, mais étroit ; les pommettes sont écartées, même un peu saillantes. Sous l’arcade sourcilière peu fournie de poils, les yeux, parfois relevés aux coins, vers les tempes, s’ouvrent grands, limpides, noirs et fournis de longs cils. Si le visage des hommes nous semble plus régulier, non-seulement leur physionomie est loin d’avoir la séduisante expression de douceur, de bonté, de franchise, l’attrait mélancolique et rêveur, le charme sympathique enfin, qui distinguent la femme de l’archipel, mais leur caractère n’offre pas non plus les mêmes garanties. La douceur des femmes est incontestable ; elles ont une imagination très vive ; elles sont superstitieuses et craintives à l’extrême. Coquettes, enjouées, avec un penchant à la moquerie, elles ont une rare pénétration de nos usages, de notre caractère, et depuis notre arrivée dans le pays elles nous ont donné souvent, même en dépit du danger qu’elles couraient, des preuves sans nombre de leur attachement.

Les indigènes sont en général peu causeurs. Souvent ils se transmettent leur pensée par un jeu de physionomie difficile à saisir pour des Européens. Assis en face les uns des autres, le dos contre une pierre, les bras croisés sous la tête, ils se regardent des heures entières sans échanger un seul mot. Contrairement aux nègres, ils sont très sobres de paroles et de gestes, alors même que leurs intérêts les plus chers sont en jeu. Paresseux, indolens, peu industrieux, ne sachant se soumettre à aucun travail régulier, ils passent la plus grande partie de leur temps, étendus à l’ombre sur des nattes, à dormir, à chanter, à tresser des guirlandes. Pourtant, bien qu’ils soient sensuels, gourmands, insoucieux du lendemain, ils ont l’esprit rapide, le jugement droit, une idée très nette de ce qui est bon et juste.