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leur prodiguer spontanément ses dons. Aussi passent-ils leur temps à apprécier le bonheur de vivre sous la douce influence d’un ciel propice, et ne semblent-ils pas se douter que le moindre effort décuplerait la production de l’île. L’agriculture n’y a donc pas fait le moindre progrès. Quant à l’industrie, elle se borne à la construction des pirogues, à la fabrication des étoffes de tapa, des nattes, des cordes en bourre de coco, des filets, des engins de pêche, des armes, des ornemens des jours de fête. L’occupation française a eu pour résultat d’anéantir une partie de cette industrie autour de Taiohaë ; on pourrait à peine aujourd’hui s’en procurer des échantillons. À la fin de 1856, la construction des grandes pirogues était complètement abandonnée dans cette baie ; quelques petites pirogues de pêche sillonnaient seules la rade. Les naturels possédaient déjà vingt-trois baleinières. Des navires pêcheurs au déclin d’une croisière leur avaient vendu à des prix assez élevés ces embarcations fatiguées par un long service. Là s’est englouti tout le pécule amassé à une époque où l’occupation française comptait un personnel nombreux et des ouvriers indigènes dont le salaire quotidien était de 2 piastres fortes. Les autres baies de Nukahiva et les autres îles du groupe, moins en contact avec les navires et par conséquent privées de moyens d’échange, continuent seules à construire les pirogues de guerre et à fabriquer les ustensiles indispensables : aussi le plus insignifiant produit de l’industrie nukahivienne se vend-il aujourd’hui à des prix fous.

Les lois religieuses du pays limitent à certaines localités le droit de confectionner les étoffes. Ces localités montrent d’ailleurs pour ce genre de travail une aptitude et une supériorité qui leur en assureront toujours le monopole. Des échanges s’établissent parfois entre les différentes îles. Les tapas de Hivaoa (la Dominique), les fins bandeaux (paë) de Yaïtahu, les éventails et les pipes sculptées de Fatuhiva étaient fort estimés dans le groupe nord-ouest. En revanche, les huiles teintes, les onguens, les pommades, différens cosmétiques ou drogues fabriqués à Nukahiva par les kakius ou les tahuas, ont des vertus merveilleuses, appréciées, partant payées fort cher dans le groupe sud-est. Les barbes de vieillards jouent un grand rôle dans ces transactions.

Trente ou quarante navires, baleiniers pour la plupart et presque tous américains, hantaient ces dernières années l’archipel des Marquises. Ils s’y ravitaillaient d’eau, de bois à brûler, de patates douces, de cochons et de volailles. Quelques troqueurs munis d’une petite pacotille venaient aussi parfois approvisionner les trafiquans étrangers, qui revendaient en détail aux indigènes. Les troqueurs ont encore pu se procurer sur l’île d’Hivaoa des bûches de bois de