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tiède, tout fleuri et tout embaumé, qui ait pour moi un charme comparable à celui de l’automne. »

Ce sentiment de la nature, qui ressemble à l’effusion méditative d’une âme dans la solitude, prend une forme plus animée dans quelques fragmens où M. Alfred Tonnelle fixe ses impressions de voyage. Lorsqu’il visite l’Allemagne ou l’Angleterre, lorsque, dans la dernière année de sa vie, il va voir les Pyrénées et nouer avec elles une intime connaissance, il se raconte à lui-même ce qu’il ressent; il peint en voyageur ces spectacles divers qui passent sous ses yeux : Belvoir-Castle et la cathédrale de Peterborough, les cimes pyrénéennes de la Maladetta et de la Forcanade, les villages espagnols d’Urgel et de Rosas.

« Belvoir-Castle, octobre 1857.

« Au-delà d’une vaste pelouse, se dresse de loin, sur une éminence sortant d’un bois épais qui enveloppe son pied, la masse imposante du château, avec ses tourelles, ses donjons, ses créneaux, se détachant sur le ciel. C’est de l’effet le plus grandiose. Cette construction féodale commande au loin une verte et riche campagne qui tout entière forme son domaine. Il faut voir la fierté de ce château-fort, l’étendue des plaines qui l’entourent, la position sûre, bien assise, de ces masses puissantes, pour se faire une idée de la hauteur où est placée l’aristocratie anglaise et de la puissance territoriale qu’elle conserve. Ces grands estates, ces parcs immenses étendus au loin sous la protection de ces manoirs, auxquels ils tiennent, donnent une grande idée du rang que tient encore cette noblesse. La nation libre voit s’élever au-dessus d’elle et reconnaît des existences aussi riches, aussi dominatrices, qui dépassent autant le niveau commun que ce château s’élève au-dessus de cette grande campagne, et les maîtres de ces châteaux laissent s’agiter autour d’eux, respectent et entretiennent la liberté de la foule, à laquelle leur position et leurs richesses les rendent si supérieurs. Ce château devient à mes yeux comme le symbole de la puissance de cette grande aristocratie anglaise. Il faut voir cela pour comprendre ce pays. Nulle part l’intégrité de ces grandes existences seigneuriales n’a été conservée, du moyen âge jusqu’à nos jours, comme dans ce pays, qui marche en avant de tous dans les voies modernes. C’est qu’avec le temps ces puissances ont dû changer la nature et les moyens de leur influence, et sont toujours restées à la tête du mouvement de leur siècle. Aussi les signes de leur influence sont-ils toujours restés debout, sont-ils vivans et vrais encore aujourd’hui, et non un symbole vide et un souvenir; aussi nous surprennent-ils par leur imposante majesté. »