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déclaré une rude guerre, car vous n’ignorez pas que le lord-maire est roi dans la Cité, et que la Cité est un des meilleurs endroits de Londres pour la vente des rues. Lors de l’avènement du nouveau maire, nous espérions tous être traités avec plus d’indulgence. Hélas ! notre attente a été déçue. Vous avez sans doute vu dans les journaux l’histoire de Mary Ann Donavan[1] ? Je n’aime point les Irlandaises, et je considère celles qui poursuivent les passans avec des peignes dans la main comme faisant un triste métier ; mais que voulez-vous que devienne une pauvre fille ? Il faut qu’elle vende ou qu’elle vole. On nous reproche d’encombrer les rues avec nos petites charrettes, comme si les voitures et les carrosses qui stationnent le long du trottoir ne gênaient pas aussi la circulation. Et puis voyez comme les pouvoirs se contredisent entre eux ! Quand par suite de maladie ou par tout autre accident nous sommes tombés dans le workhouse, la paroisse nous fournit volontiers une voiture et quelque marchandise pour nous remettre sur pied ; mais à quoi bon, je vous le demande, puisque la police nous empêche de vendre, et trop souvent saisit d’une main ce qui nous a’été donné par l’autre main ? C’est mal agir, vous en conviendrez, envers de pauvres gens qui sont la vie et la providence des grands marchés de Londres. Je ne croirai jamais que l’initiative de telles mesures vienne du lord-maire, qui ne doit pas être un méchant homme, car il aime les sprats ; je dois seulement dire qu’il les mange dans la saison défendue. Les vrais auteurs du système tracassier auquel nous sommes soumis sont les boutiquiers de la Cité, lesquels se montrent jaloux parce qu’ils ne peuvent vendre à aussi bon marché que les petites voitures. Et pourtant nous ne leur faisons pas de tort : ils servent le gentleman, nous servons l’ouvrier. Par bonheur nous sommes de la race du Juif errant : chassés d’ici, de là, on nous retrouve partout et toujours, en dépit de la pluie, du vent et de la police. La maxime de nos pères, celle que nous apprenons à nos enfans est celle-ci : « Tais-toi et marche ! »

La vie des costermongers irlandais présente avec celle des costermongers anglais, dont ce naïf récit a pu donner une idée, d’assez nombreux contrastes et quelques traits de ressemblance : je ne m’arrêterai qu’aux contrastes. Dans presque tous les pauvres quartiers de Londres, on rencontre des nids d’Irlandais ; mais je choisirai surtout Rosemary-Lane comme un des points les plus curieux

  1. Jeune marchande de dix-huit ans condamnée à quatorze jours de prison. Cette sentence a donné lieu dans la presse anglaise à une polémique très vive. J’ai dû me faire ici l’écho des plaintes qu’élève à ce sujet le commerce des rues de Londres sans entrer dans les considérations d’édilité publique qui ont motivé cette mesure et d’autres semblables.