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son bienveillant accueil, et je montai à cheval pour aller porter ma lettre au camp des Écossais. Je pus là observer les états-majors anglais sous un autre aspect, non moins digne d’attention. Le colonel des highlanders était un gentleman tout habillé de nankin, coiffé d’une casquette en toile cirée. Quand je m’approchai de lui, il était gravement préoccupé... de la confection d’une omelette! Au premier coup d’œil, je prévis que l’opération allait avorter, et qu’au lieu d’une omelette, faute d’avoir obtenu l’annexion des blancs et des jaunes, le digne gentleman ne produirait que des œufs sur le plat. Je saisis la fourchette, et j’opérai vivement la fusion désirable. Il me remercia. Je l’aidai à retourner son omelette, chose à laquelle il semblait ne rien entendre. Tout ayant réussi de façon à contenter les plus rigides maîtres de la cuisine française, j’exposai au colonel l’objet de ma visite. Son omelette à la main, il me fit entrer dans sa tente et m’offrit de partager son repas. Je refusai, mais je voulus savoir pourquoi un colonel de highlanders était réduit à faire lui-même son omelette. J’appris que le pauvre colonel avait perdu tous ses domestiques, victimes du choléra, et je reçus plus tard la triste nouvelle que cet excellent homme, qui se montra des plus concilians dans l’affaire dont je venais l’entretenir, avait lui-même succombé à cette cruelle maladie.

J’ai laissé la formation des bachi-bozouks au moment où l’on pouvait mettre en ligne trois brigades. Une quatrième allait se former enfin. Le général Yusuf tenait beaucoup à cette quatrième brigade, qui aurait fait monter la cavalerie sous ses ordres au chiffre de plus de cinq mille chevaux, ce qui était un assez beau commandement. Il n’était pas difficile en réalité de se procurer des bachi-bozouks. Le bureau de recrutement se trouvait à Choumla, au camp d’Omer-Pacha; il n’y avait qu’à écrire pour en avoir, et le généralissime ottoman mettait à s’en défaire le plus gracieux empressement. Toutefois ce n’était pas à ce bureau que le général voulait s’adresser. Le bruit lui était arrivé, pendant qu’il organisait les autres brigades, qu’une assez forte colonne de bachi-bozouks courait le long du Danube, faisant toute sorte de fantasias et de gentillesses. Le général de cavalerie anglaise, le héros de Balaclava, lord Cardigan, battant l’estrade le long du fleuve, les avait rencontrés avec un chef à leur tête, et ce chef était une femme. L’imagination du général Yusuf s’enflamma à cette nouvelle, et il dépêcha immédiatement un de ses officiers à la recherche de la nouvelle Jeanne d’Arc et de sa colonne, afin de l’engager à se ranger sous les bannières de la France. L’amazone reçut l’ambassadeur, mais sans trop goûter la proposition. Cependant, d’humeur aventureuse, comme bien l’on pense, elle finit par accepter, et dit qu’elle allait se mettre en route avec