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d’économie domestique : il concluait en invitant les auditeurs, dans leur propre intérêt, à acheter des brûle-tout qu’il avait sur une table, et qui s’adaptaient à des chandeliers. Dans une des rues de Wapping, un charlatan (médical botanist) avait inventé, il y a trois ans, un autre moyen de grossir sa clientèle. Il y avait alors un procès criminel qui faisait beaucoup de bruit, et qui tenait en haleine la curiosité publique : c’était celui de Palmer, le célèbre empoisonneur. Le charlatan annonça qu’il lirait tous les soirs à haute voix dans le Times le compte-rendu des séances du tribunal. Durant la guerre de Crimée, un autre patterer déployait une grande toile peinte qui représentait l’empereur de Russie sous la forme d’un ours. Ce groupe de marchands des rues offre quelque analogie avec la famille des showmen, dont il a été question à propos des industries excentriques de Londres[1] : ils jouent une petite comédie pour arrêter les passans ; seulement ici la charge est le prétexte, la vente est le but. Ils forment, d’après leurs idées, l’aristocratie des street-sellers. Rien n’égale leur mépris pour le commun des costers, qu’ils considèrent comme une classe ignorante, tandis qu’eux vivent de leur intelligence. Quelques-uns des pattelers ont reçu de l’éducation : on trouve parmi ces artistes de la vente d’anciens membres des universités, des chirurgiens (surgeons), des commis de bureau. L’un d’eux était le fils d’un capitaine qui fut nommé plus tard sous-directeur de Bute Docks. Ce jeune homme avait fait de bonnes études ; mais, n’ayant point d’état, il vint à Londres, après la mort de son père, pour chercher une place. Il comptait, pour se tirer d’affaire, sur ses connaissances classiques : il fut bien vite désenchanté. Après avoir gagné quelque temps deux guinées par semaine à copier des documens pour la chambre des communes, il perdit un jour cette ressource éventuelle et tomba dans la foule des street-patterers. Un autre avait traversé trente-huit situations sociales en douze années. Il racontait son histoire au cercle d’auditeurs qui se pressait autour de la tribune, — une simple table, — et se définissait lui-même « un roseau emporté par le courant de la vie. » Si les pattelers sont en général plus instruits que les costermongers et les pedlars, ils ont en revanche des mœurs beaucoup moins régulières. La plupart d’entre eux ont été entraînés vers leur état par un penchant pour la vie vagabonde ; le plus souvent ils n’ont point de domicile, et couchent la nuit dans les common lodging houses. Un langage obscène, des habitudes d’intempérance, un amour-propre incommensurable, tels sont les principaux traits de leur caractère. Ces orateurs et ces acteurs du petit commerce des rues forment une

  1. Voyez la Revue du 1er mars 1859.