Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En somme, les marchands des rues forment depuis des siècles une classe abandonnée, négligée, proscrite, à laquelle manque surtout le sentiment de l’idéal et de la beauté. Deux moralistes, — c’est bien peu, — ont pourtant cherché à relever cette famille déchue. Il y a près de dix ans, M. Henry Mayhew eut l’idée de provoquer un meeting et de fonder une friendly-association des costermongers de Londres. Il se proposait parla d’adoucir les maux qui s’attachent à la vie des rues[1]. Le meeting eut lieu le 12 juin 1850 et présenta, malgré quelque confusion, une scène vraiment intéressante. Quant à l’association, elle attend encore des capitaux. Les bonnes intentions de M. Mayhew sont donc, sous ce rapport, demeurées stériles. Un autre ami des petits marchands, le révérend W. Rogers, a fondé dans sa paroisse une école pour les enfans des street-hawkers. Sur quatre-vingts élèves qui assistent aux classes, cinquante ont mérité la récompense d’argent que le gouvernement anglais accorde à l’assiduité des écoliers pauvres. Le même clergyman a ouvert une salle à des meetings religieux qui ont été suivis par cent cinquante femmes et quatre-vingts hommes. On est libre de trouver que c’est là une bien faible digue élevée contre les débordemens de l’ignorance et de la démoralisation qui étouffent chez cette classe infortunée jusqu’au germe du progrès social ; des efforts si honorables ne sauraient pourtant être envisagés sans une vive sympathie. Ce qui se fait déjà dans un district de Londres peut se faire ailleurs, et il est permis d’espérer qu’un rayon régénérateur luira enfin sur la tête de cette famille sombre et dispersée. Je compte plus, il faut l’avouer, sur cette action des moralistes que sur les mesures répressives des magistrats de la Cité pour redonner de la sève à un rameau flétri et pour le couvrir enfin des fruits tardifs de la civilisation.


II

Il faut bien parler maintenant d’une autre famille industrielle encore plus étrangère peut-être que celle des costermongers aux habitudes délicates de la société, aux conquêtes de l’esprit humain : celle-ci regarde sans cesse à ses pieds, pour ramasser dans la poussière ou dans la boue, souvent même dans des souterrains qu’on a bien nommés les royaumes de l’horreur, tout ce que l’indifférence

  1. Ses moyens étaient ceux-ci : instituer une caisse d’épargne recevant des dépôts de deux sous (penny saving’s bank), délivrer les costermongers des liens de l’usure en formant une banque de prêt qui avancerait, moyennant un intérêt légitime, aux marchands ambulans l’argent nécessaire pour acheter leurs petites voitures et pour faire leur marché, — introduire parmi les membres de l’association l’égalité des poids et mesures, — substituer des amusemens rationnels aux pernicieux divertissemens qui abrutissent les street-sellers.