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tante aux aspirations de nos cœurs ou consolé nos angoisses, le récit des aventures de Mireille serait une ressource médiocre. Puisque le poème de M. Mistral a résisté à ces accablans éloges, il renferme en lui une force incontestable. Aimons cette force dans le cadre où le poète la déploie; aimons cette inspiration franche, ces richesses naïves, ce sentiment simple et profond des passions primordiales du cœur de l’homme, ce don de saisir et de peindre les aspects multiples de la nature; aimons toutes ces choses, et félicitons la Provence. Je parcourais dernièrement le pays qu’a illustré l’auteur de Miréio. Sur la montagne des Baux, sur les hauteurs de Saint-Gabriel, j’embrassais ce vaste horizon qui est le théâtre même de cette idylle grandiose : d’un côté, la riche plaine d’Avignon à Saint-Rémy, les mas répandus dans la campagne, les fermes entourées d’ormeaux et de micocouliers; au bas de l’autre versant, Arles, Montmajour, la Grau, la Camargue, et dans le fond les lignes bleues de la mer. Je pouvais suivre des yeux le chemin que Vincent avait pris si souvent, de Valabrègue au pied des petites Alpes ; vers le delta du Rhône, j’apercevais les chevaux sauvages, les taureaux à robe noire, et je devinais au milieu d’eux le gardien Véran et Ourrias le toucheur ; ce berger pensif dont j’ai rencontré l’immense troupeau sur la montagne, n’est-ce pas le lier Alari? Mireille elle-même, je l’ai rencontrée peut-être, car toutes ces figures sont vivantes, et désormais, pour qui aura lu Miréio, elles peupleront la vallée. Je voyais aussi ces plantes, ces arbres, ces animaux, qui donnent au paysage une physionomie reconnaissable, et que l’artiste a marqués d’un trait sur, les figuiers, les oliviers, les bois de pins, les chênes verts aux branches noueuses, la terre qui fume sous le soleil, les fleurs des rochers chargées de senteurs étranges, et les macreuses lustrées, les flamans aux ailes de feu, saluant le soir les derniers rayons du couchant. Certes j’avais admiré bien des fois cette contrée des Alpines; combien elle m’a paru plus belle depuis qu’un poète lui est né !

J’aurais voulu seulement (c’est là le principal reproche que j’adresse à M. Mistral), j’aurais voulu que ce poète, en s’inspirant si bien de la nature du midi, songeât davantage aux hommes qui sont le sujet de ses peintures. Dès la seconde strophe du poème, il promet, il se glorifie de ne chanter que pour les pâtres et pour les gens des mas,

Car cantan que per vautre, o pastre e gènt di mas !


Cette promesse, on le sait en Provence, M. Mistral ne l’a pas tenue. Il n’écrit pas pour les pâtres, mais pour les artistes. En traçant les portraits de Mireille et de Vincent, d’Alari et d’Ourrias, il n’a pas