Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/876

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perfection infinie : le but qu’il lui propose, c’est de monter au sommet de l’échelle des êtres, d’arriver pour ainsi dire dès ici-bas à la vie éternelle. Nul non plus n’est moins disposé que lui à revenir à l’idée d’une loi; je ne sache pas de plus belles pages, je n’en connais point qui respirent autant l’ivresse des hautes aspirations que celles où il retrace la lutte de l’église contre le parti judaïsant, contre cet esprit juif qui n’avait jamais pu combler la distance de l’homme à Dieu, et qui «menait tout droit à la servitude morale, en ne considérant le Créateur que comme un pouvoir et un maître. » Déjà, dit-il, sous l’influence de la libre inspiration, il s’était fondé quelque chose comme une société : les sentimens chrétiens avaient spontanément enfanté un mariage chrétien, une paternité chrétienne, un nouvel ensemble de rapports publics et privés. Convenait-il de prévenir les rechutes en rendant à jamais obligatoires ces coutumes déjà établies et en les enjoignant comme une partie du culte exigé? D’honnêtes esprits le pensaient. Honnêtetés aveugles et cœurs pusillanimes! Ils ne comprenaient pas que, pour empêcher les individus de s’égarer dans leurs voies, ils proposaient d’étouffer en eux la vie de l’âme. S’engager sur cette pente, c’eût été décider que la religion du Christ ne serait qu’un rituel et un règlement social; c’eût été condamner le chrétien à être l’esclave d’une autorité qui l’aurait empêché d’être fidèle à sa conscience ; c’eût été vouloir qu’il ne fût plus un être moral, un être constamment mû par son propre sentiment du devoir moral.

Donc liberté entière dans le devoir, activité incessante sous l’inspi- ration de la conscience personnelle christianisée par la foi, à chacun le privilège et l’obligation de soumettre son âme à l’Esprit, pour s’efforcer ensuite de réaliser dans ses actes ce que l’Esprit lui dicte à lui-même, et, comme condition première de ce christianisme vivant, la liberté complète de la pensée chrétienne, de la raison appliquée à l’interprétation des Écritures et à la spéculation philosophique, voilà en quelques mots la théorie de M. Bunsen. « Qui peut s’imaginer, demande-t-il avec dédain, que l’on guérira la misère de notre temps, et que l’on relèvera le christianisme de son affaissement en redoublant de sévérité pour sommer les peuples et les individus de faire tout ce que le clergé a ordonné, ou est en train d’ordonner, ou pourra plus tard ordonner, avec promesse du ciel pour ceux qui le feront et menace de l’enfer pour ceux qui ne le feront pas? » Sa conviction à lui est diamétralement opposée. C’est à l’asservissement des intelligences, c’est aux confessions de foi, aux conciles d’évêques et à tous les pouvoirs qui, pour diriger les individus, les ont habitués à ne pas consulter leur oracle intérieur, qu’il fait remonter comme à leur source l’incrédulité des temps modernes et la désorganisation sociale qui en est sortie; c’est par l’abolition