Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 23.djvu/880

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

va bien au-delà de tout ce qu’avait rêvé le moyen âge, de tout ce qu’il avait tenté d’accomplir par la suprématie universelle du pouvoir spirituel. C’est l’homme entier que M. Bunsen enveloppe dans le christianisme pour faire cesser la lutte intérieure qui l’épuisé. Au moral, nous avons tous un peu la maladie de Bright : notre âme s’est scindée. A côté du croyant qui peut se trouver en nous, il y a un savant incrédule, un penseur, un commerçant, un poète qui ont chacun sa loi à part, un citoyen qui ne reconnaît plus la morale que la conscience enjoint pour la conduite de l’individu. Ce chaos que nous portons dans notre sein, l’ambition, l’espoir de M. Bunsen est de le ramener à l’harmonie; il aspire à reconstruire des organismes parfaits en replaçant l’inspiration chrétienne au centre de notre être et en faisant d’elle le mobile premier de nos pensées, de nos sentimens, de toute notre activité. Pour lui, il n’existe pas de distinction entre le temporel et le spirituel; il n’existe pas de domaine politique ni de domaine religieux, pas d’œuvre qui soit de l’église ni d’œuvre qui soit de l’état. « La seule œuvre divinement bonne est de vivre dans la foi et de remplir dans la foi la tâche qui nous est assignée, qu’elle soit en haut ou en bas, qu’elle soit celle du prince ou du philosophe, de l’homme d’église ou du cordonnier. Et de même que la réalisation de l’esprit chrétien est plus complète dans le mariage que dans la vie solitaire, plus complète dans la congrégation que dans la famille, ainsi en est-il dans la nation comme nation, au moyen d’un état constitué chrétiennement. » Jusqu’où s’étend le sens de ces paroles, M. Bunsen ne nous permet pas de le méconnaître. Il ne veut pas dire seulement que notre foi religieuse doit aussi nous diriger dans notre vie publique : il est persuadé que la liberté civile est une partie inhérente du christianisme, et que la communion des enfans de Dieu, révélée par le Fils et voulue par le Père, ne sera point une vérité tant qu’il y aura des gouvernans et des gouvernés, « tant que l’empire de la force et de la crainte, comme celui de l’égoïsme et de la volonté personnelle, n’aura point été détruit dans nos régimes sociaux pour faire place au seul empire de l’amour et de la vérité, de la loi intérieure et de la liberté intellectuelle. » Comment doit s’établir ce règne public de l’Évangile? M. Bunsen ne prétend pas le préciser : il n’a rien de ces réformateurs qui se présentent avec une recette pour transformer à vue les sociétés; seulement il tient pour certain que les lois de l’univers et le plan divin, comme ils se sont révélés dans le passé, annoncent et réclament une ère future où « le Christ, après s’être fait homme, se fera humanité. » Sa foi chrétienne, on l’a vu, est une foi sans bornes en un progrès dont le but nécessaire est la perfection suprême : il croit qu’en créant la terre et en lui donnant l’Évangile, Dieu a voulu que l’Esprit saint arrivât de conquête en conquête à