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porelle que les papes avaient acquise dans la péninsule par tant de luttes et de sacrifices[1]. »

On voit suffisamment quelle fut la préoccupation habituelle du saint-siège: subordonner l’intérêt général de l’Italie à l’intérêt particulier du gouvernement romain. De son côté, Frédéric II avait prétendu subordonner les intérêts généraux de la papauté à l’intérêt particulier de l’empire italien; mais en compliquant la question politique d’une question de dogme qui ne pouvait aboutir qu’à un schisme éclatant, il avait évidemment dépassé le but, et son attitude violente à l’égard du chef spirituel des chrétiens fut sans doute une des causes qui empêchèrent l’Italie de le suivre dans son plan de concentration unitaire. Son nom toutefois resta comme un signe de ralliement, adopté aussi bien par les novateurs politiques que par les partisans de la réforme religieuse. Au XIVe siècle, il est sans cesse invoqué par les ennemis de la domination temporelle du saint-siège quand ils expriment dans des pamphlets vigoureux le désir qu’un seul maître parvienne à régner sur toute la péninsule et à régénérer l’église, tombée dans une complète corruption.

Si Frédéric ne put réussir à être le fondateur de l’unité italienne, l’énergie de son gouvernement, la hardiesse extraordinaire de ses vues eurent du moins pour résultat de relever la grandeur idéale de l’empire. Et pourtant ce résultat fut encore un malheur, parce que les Italiens, voyant combien la victoire de la papauté était stérile pour eux, se remirent avec une nouvelle ardeur à la poursuite de leur chimère, et ne profitèrent pour s’affranchir ni du grand interrègne[2], ni de l’indifférence calculée que leur témoignait Rodolphe de Habsbourg, Nous trouvons une preuve bien significative de la persistance de cette illusion dans ce passage d’un chroniqueur gibelin qui écrivait vers la fin du XIIIe siècle : « De même que les œufs de poissons qui ont séjourné cent ans dans le lit desséché d’un fleuve, quand ce fleuve retourne dans son lit, redeviennent féconds et produisent à leur tour des poissons, de même les cités, les terres, les seigneurs qui furent anciennement dans les bonnes grâces de la majesté impériale, quand reparaîtra la puissance de l’empereur, se soumettront avec empressement à cette autorité tutélaire. » Cet appel à l’empire, qui se traduisait ici par une comparaison populaire, allait servir de texte aux érudits, et devenir l’objet de traités savans et méthodiques. Chacun sait que l’idée de la monarchie impériale s’élève dans les écrits de Dante à la hauteur d’une théorie philosophique, plus encore d’un dogme religieux. On le nierait en vain :

  1. Histoire de la Lutte d s papes et des empereurs, t. III, p. 345.
  2. On désigne communément sous ce nom les vingt-trois ans qui s’écoulèrent de la mort de Frédéric II à l’avènement de Rodolphe de Habsbourg, période durant laquelle il n’y eut réellement pas d’empereur.