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chez eux ou dans les maisons de refuge. Il existe seulement dans le local de la société une salle de rafraîchissemens qui est tenue par une matrone, et où les enfans peuvent se faire servir à leurs frais du thé, du café, des œufs. — Le soir, ils se rendent aux ragged-schools, ou, si c’est un mercredi, assistent à un discours intéressant que leur adresse un des membres du comité. Le lendemain, au point du jour, joyeux et légers comme des alouettes, ils reprennent le chemin de la maison commune. Quelques-uns d’entre eux demeurent à une grande distance : ceux-là viennent souvent sur l’eau dans les bateaux à vapeur d’un sou, half-penny boots. Après la prière, qui se récite à sept heures, chacun ceint son tablier noir, met sa boîte sur les épaules et se rend au poste qui lui est assigné. Là il attend ou attire la pratique. Un penny est le prix fixé par la société pour le cirage d’une paire de chaussures. Je souligne le mot paire, parce qu’un vieux rentier à jambe de bois refusa un jour de se soumettre à la charge commune, et donna seulement un half-penny pour le nettoyage de son unique botte. Le gain des shoe-blacks varie selon les saisons de l’année. On brosse plus de chaussures en été qu’en hiver. Par un beau temps, les souliers sales ont honte de paraître devant la lumière du soleil. Les jours de fête (j’en excepte le dimanche, durant lequel les shoe-blacks ne travaillent pas) sont les jours où l’on récolte en plus grande abondance la monnaie de cuivre. Une date est restée gravée dans la mémoire des décrotteurs de Londres, c’est l’entrée de M. Kossuth. « Ce jour-là, disent-ils, la foule était si pressée, qu’on marchait sur les pieds les uns des autres. » Trois citoyens anglais sont exemptés de la taxe commune, ce sont : M. ludge Payne, qui donne des poésies à la société des shoe-blacks ; M. Alderman Finnis, qui lui donne des plum-puddings, et le comte de Shaftesbury, qui lui accorde son patronage. En général, la conduite de ces enfans sur le pavé de Londres est exemplaire : ils ont pourtant beaucoup à souffrir d’autres shoe-blacks indépendans qui leur volent leur place et leur font une concurrence déloyale. C’est un spectacle qui m’a souvent réjoui le cœur que de voir, entre les intervalles du travail, les jeunes shoe-blacks plongés dans la lecture d’un livre ou d’une gazette déployée sur leur boîte. Je tenais surtout à connaître les fruits moraux qu’avait portés l’institution. M. Mac-Gregor voulut bien faciliter mes recherches. « Parmi les enfans, me dit-il, que nous avons eu à diriger, l’un avait eu trois fois des démêlés avec le police-office, les prisons s’étaient ouvertes pour plusieurs. La vie de ces jeunes malheureux a été marquée par des drames poignans. Notre tâche, — et elle présente des difficultés, — consiste à réformer le caractère de ces adolescens, à faire de l’enfant voleur un honnête homme, à fixer le vagabond, à greffer les habitudes de l’épargne sur des goûts de