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ces genres différens, où chaque nom est une tentative personnelle et chaque gloire une conquête particulière, le lecteur, étonné et avide, s’inquiète encore du procédé plus que du résultat.

Je me figure voir ce public, toujours le même au fond, amassé jadis autour des premiers essais de la peinture à l’huile, et se préoccupant des secrets du métier plus que du sens des œuvres et des progrès réels de l’art. Cela est assez naturel. C’est donc aux artistes de s’expliquer quelquefois, de dire que le procédé n’est rien, et que l’affaire du public n’est pas de chercher les ouvriers qui ont broyé la couleur, ou les modèles qui ont posé devant le peintre, mais d’examiner le tableau, d’en comprendre les qualités ou les taches, et de l’apprécier suivant ce qu’il enseigne plus ou moins bien, à savoir l’élévation des sentimens et des idées, le sens de l’art, la manifestation du beau dans le vrai ou du vrai dans le beau, la science du réel ou l’émotion de l’idéal.

Si l’artiste est resté au-dessous de sa pensée et de la vôtre, s’il a avili dans les types humains l’empreinte de la Divinité sous une interprétation sordide, condamnez-le ; mais si, en étudiant le réel avec conscience, il a respecté la noblesse de l’origine céleste, ne cherchez pas autour de vous les noms ou les traits de ses modèles. Ils existent sans doute dans la réalité, car nul n’invente en dehors de ce que peuvent percevoir les sens, et les dieux mêmes se présentent à l’imagination sous des traits humains ; mais, en se traduisant sous la main d’un artiste véritable, ces modèles, grands ou vulgaires, effrayans ou suaves, entrent dans une vie nouvelle à l’état d’abstractions frappantes et de types impérissables, aussi bien le Moïse de Michel-Ange que l’Arétin de Titien ou le Charles Ier de Van-Dyck.

On peut et on doit appliquer à l’art de raconter ce que nous disons ici de l’art de peindre, car les procédés sont les mêmes pour tous les arts sérieux. On peut et on doit dire aux écrivains : Respectez le vrai, c’est-à-dire ne le rabaissez pas au gré de vos ressentimens personnels ou de votre incapacité fantaisiste ; apprenez à bien faire, ou taisez-vous, » et au public : « Respectez l’art ; ne l’avilissez pas au gré de vos préventions inquiètes ou de vos puériles curiosités ; apprenez à lire, ou ne lisez pas. »

Quant aux malheureux esprits qui viennent d’essayer un genre nouveau dans la littérature et dans la critique en publiant un triste pamphlet, en annonçant à grand renfort de réclames et de déclamations imprimées que l’horrible héroïne de leur élucubration était une personne vivante dont il leur était permis d’écrire le nom en toutes lettres, et qui lui ont prêté leur style en affirmant qu’ils tenaient leurs preuves et leurs détails de la main d’un mourant, le