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donc pas vous marier ? Vous ne voulez donc pas rendre un peu de joie et de repos à votre pauvre mère ?

— Je n’ai qu’une volonté et qu’un devoir au monde, c’est de rendre ma mère satisfaite de moi. Je consens donc à me marier, mais non à me faire éconduire en rêvant des mariages impossibles, c’est probablement une expérience désagréable que vous venez de me procurer.

— Eh bien ! voilà ce qui vous trompe : votre recherche est agréée !

— En vérité ? La jeune personne a donc quelque tache ou quelque infirmité, pour qu’on la donne à un inconnu sans fortune, qui n’a montré aucun esprit, et qui n’a même pas le mérite de la désirer ?

— Que me dites-vous là ? s’écria le notaire en arrêtant tout à fait son cheval. Êtes-vous en somnambulisme que vous déraisonnez de la sorte ? Pardon, monsieur le comte, mais je vois bien que nous ne nous entendons pas. Vous croyez M. Butler immensément riche, et vous ne vous trompez guère ; mais sachez que ses enfans n’auront très probablement que leur héritage maternel, vu qu’il est en train de manger sa fortune, c’est-à-dire de la placer en herbes sèches, en cailloux et en bêtes empaillées, sans compter les expériences scientifiques, qui sont un gouffre sans fond ! Sa femme était créole ; elle a laissé une fortune claire, assurée, à laquelle, en homme d’honneur, il ne touchera jamais, la sienne propre suffisant à ses joies innocentes ; mais cet héritage maternel, partagé entre Love et Hope Butler, ne présente pas un chiffre exorbitant. C’est une vingtaine de mille francs de rente pour chacun, et comme vous apportez la considération qui s’attache à un vieux nom, considération qui au besoin peut s’évaluer comme une sorte de capital, vous voyez que ce mariage n’aurait rien de disproportionné. En outre, la jeune fille est assez jolie et assez aimable pour que personne ne puisse songer à vous accuser d’ambition. Vous avez l’occasion et la chance pour vous. Nouveau dans le pays, M. Butler ne reçoit encore que peu de personnes, et de loin en loin. Il ne paraît pas disposé à en voir davantage ; il n’est pas homme à perdre en frivoles conversations le précieux temps qu’il peut consacrer à l’étude. S’il vous a accueilli mieux que la politesse et l’hospitalité ne l’exigeaient, c’est que vous lui avez plu. Vous n’avez donc pas de rivaux pour le moment, ceux qui se sont trop pressés de flairer les écus de sa fille ayant été découragés dès le premier jour. Il est vrai de dire qu’ils ne convenaient sous aucun rapport, et que je n’avais pas voulu me charger de parler pour eux. M. Butler a confiance en moi, et j’ai parlé pour vous, qui êtes un parti convenable. Il ne vous reste qu’à vouloir plaire à miss Love, laquelle n’est pas si aisée à