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Il a son temple avec un prophète pour prêtre;
Ses yeux semblent de pourpre, étant les yeux du maître ;
Il triomphe, il rayonne, et pendant ce temps-là,
Sans savoir qu’à ses pieds toute la terre tombe.
Pour le mur qui sera la cloison de sa tombe.
Des potiers font sécher de la brique au soleil.
……………
La tombe où l’on a mis Bélus croule au désert;
Ruine, elle a perdu son mur de granit vert.
Et sa coupole, sœur du ciel, splendide et ronde ;
Le pâtre y vient choisir des pierres pour sa fronde;
Celui qui, le soir, passe en ce lugubre champ
Entend le bruit que fait le chacal en mâchant ;
L’ombre en ce lieu s’amasse, et la nuit est là toute;
Le voyageur, tâtant de son bâton la voûte,
Crie en vain : « Est-ce ici qu’était le dieu Bélus? »
Le sépulcre est si vieux qu’il ne s’en souvient plus.
…………….
La mort est la grande geôlière ;
Elle manie un dieu d’une main familière.
Et l’enferme; les rois sont ses noirs prisonniers;
Elle tient les premiers, elle tient les derniers;
Dans une gaîne étroite, elle a raidi leurs membres ;
Elle les a couchés dans de lugubres chambres,
Entre des murs bâtis de cailloux et de chaux;
Et pour qu’ils restent seuls dans ces blêmes cachots,
Méditant sur leur sceptre et sur leur aventure,
Elle a pris de la terre et bouché l’ouverture.
……………
Passans, quelqu’un veut-il voir Cléopâtre au lit ?
Venez; l’alcôve est morne, une brume l’emplit;
Cléopâtre est couchée à jamais………….
Ses dents étaient de perle et sa bouche était d’ambre.
Les rois mouraient d’amour en entrant dans sa chambre………..
Son corps semblait mêlé d’azur; en la voyant,
Vénus, le soir, rentrait jalouse sous la nue.
Cléopâtre embaumait l’Egypte; toute nue,
Elle brûlait les yeux ainsi que le soleil ;
Les roses enviaient l’ongle de son orteil...
O vivans, allez voir sa tombe souveraine !
Fière, elle était déesse et daignait être reine;
L’amour prenait pour arc sa lèvre aux coins moqueurs ;
Sa beauté rendait fous les fronts, les sens, les cœurs,
Et plus que les lions rugissans était forte...
Mais bouchez-vous le nez si vous passez la porte.

Je répète que, depuis Shelley, personne n’a mieux que M. Hugo, dans ce poème, chanté cette suprématie de la mort sur toutes les tyrannies de la terre. Personne n’a mieux fait résonner cette corde lugubre et vengeresse, n’a mieux fait apparaître le puissant comme un insolent rebelle, comme un révolté impuissant contre la sou-