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des forces de panthère ; ses yeux animés brillaient comme des lucioles à travers les herbes.

Mais elle se croyait bien seule avec son frère, car, au bruit que fit le pied de mon cheval en rencontrant une pierre, elle se releva vivement, regarda autour d’elle, et échangea quelques mots avec Hope, qui vint droit sur moi, tandis qu’elle, folâtre et sans soupçon, remit le paquet de mousse sur sa tête et en rabattit les longues mèches sur sa figure, comme un enfant qui se déguise pour n’être pas reconnu, ou qui s’apprête à faire peur aux curieux.

En me jetant un peu de côté, je pouvais échapper au premier regard de sir Hope ; mais à coup sûr il eût vu mon cheval, s’il eût fait deux pas de plus. Heureusement, sa sœur riant tout haut de l’expédient qu’elle avait imaginé, il se retourna, trouva l’idée admirable, courut chercher le reste de la mousse pour se masquer aussi, et j’eus le temps de remonter à cheval et de filer jusqu’à un massif du chemin qui me dérobait complètement à la vue. De là je les entendis crier hou hou sur le bord du fossé, regrettant beaucoup sans doute de ne pas trouver un paysan à qui faire peur. Puis les éclats de rire recommencèrent en s’éloignant, et je crus pouvoir continuer ma route sans être observé ; mais, comme j’arrivai à la porte au fond du parc, je me rencontrai face à face avec le pâle et flegmatique Junius Black. J’étais apparemment mieux disposé, car je ne lui trouvai pas une mauvaise figure. Il m’aborda très poliment, et comme il paraissait désireux de lier conversation, je mis pied à terre. Mon cheval, qui m’était très attaché, me suivit comme un chien, et je descendis avec le savant à gages la longue allée sinueuse qui ramenait au château.

M. Black ne montra aucun étonnement de me voir arriver par là, Il savait pourtant bien que ce n’était pas du tout mon chemin, mais je n’eus pas la peine de chercher un mensonge ; il paraissait ou très indifférent à la circonstance, ou très au courant de mes prétentions mal déguisées. Ce qui me confirma dans cette dernière supposition, c’est qu’il me parla le premier de la famille Butler en homme qui n’est pas fâché de sonder pour son compte ou pour celui des autres les dispositions du futur. Ceci me parut le fait d’un cuistre ; cependant, comme je ne demandais qu’à voir clair dans ma situation, je ne le lui fis pas sentir et me tins sans affectation sur la réserve, tout en cherchant à le faire parler.

Il était fort lourd, pensait à bâtons rompus et se permettait d’être encore plus distrait que son patron. De plus, il était asthmatique et crachait souvent. Il disait sur les sujets qui m’intéressaient le plus vivement les choses les plus insignifiantes. M. Butler était le plus doux et le meilleur des hommes ; miss Love était parfaitement