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semaine de selichoth[1], qui précède le rosch haschonnah, et qui est marquée, assurent les vrais croyans, par une intervention toute particulière des puissances surnaturelles dans les choses humaines.

Quiconque arriverait à Wintzenheim à trois heures du matin pendant le selichoth trouverait déjà la population debout et se rendant à la synagogue, docile à l’appel du schamess (bedeau), qui vient de traverser le village silencieux en frappant trois coups secs avec son marteau de bois, tantôt sur un volet, tantôt sur une porte cochère. Les prières durent jusqu’à l’aube. Qui peut dire à quelles redoutables rencontres s’exposent dans leur ronde nocturne le schamess et le hazan (ministre officiant) forcé de se rendre chaque nuit à la maison de Dieu ? Le selichoth est l’époque des apparitions, des revenans. Que de fois le schamess n’entend-il pas des voix sépulcrales se mêler au bruit du vent qui agite les saules pleureurs du cimetière ! que de fois le hazan ne voit-il pas des langues de feu éclairer devant lui les ténèbres, ou des fantômes effrayans lui barrer le passage ! Tout Wintzenheim s’entretient encore dans les veillées de l’apparition nocturne qui vint à pareille époque épouvanter, il y a quelque trente ans, le grand-rabbin Hirsch, de sainte et vénérable mémoire. Le rabbin demeurait tout près de la synagogue. Dans la maison du rabbin, et sous sa garde en quelque sorte, se trouvait le réservoir d’eau servant, selon le rit, aux ablutions des femmes. C’était la nuit. Le rabbin, sa Guémara[2] devant lui, était profondément absorbé dans le saint livre. Au dehors, tout était calme et silencieux. Soudain le rabbin entend du côté de la cour et sous sa fenêtre une voix lamentable. Il ouvre la fenêtre, et voit un fantôme blanc qui tend vers lui des mains suppliantes. « Que veux-tu ? demanda le rabbin. — Je suis, répondit le fantôme, la femme de Faïssel Gaïsmar, et c’est hier qu’ils m’ont enterrée. Malade pendant six semaines, je n’ai pu le mois dernier me baigner dans le mikva (réservoir) ; je suis donc obligée de revenir. Rabbi, soyez assez bon pour me donner les clés du mikva. » Le rabbin, sans tarder davantage, jette à la suppliante le lourd trousseau de clés. Quelques instans après, il entendit le clapotement des eaux ; il distinguait très clairement le moment où la suppliante s’y plongeait et en sortait, secouant chaque fois ses cheveux imprégnés de l’humide élément. Puis le silence se rétablit. Le rabbin continua d’étudier sa Guémara, et vers les deux heures il s’endormit sur le volume sacré. À trois

  1. Mot hébreu signifiant indulgence, à cause des prières que l’on fait chaque matin pour invoquer l’indulgence de Dieu.
  2. Commentaire du code des lois traditionnelles (Mischna), et formant avec ce code le Talmud proprement dit.