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veux pas la mort de ta créature ; tu connais la force de ses passions, et tu sais que l’homme est fait de chair et de sang. L’homme périssable, dont l’origine est poussière, ressemble à un vase fragile, à l’herbe desséchée, à une fleur flétrie, à l’ombre fugitive, au nuage qui disparaît, au vent qui souffle ; il se dissipe comme la poussière et s’évanouit comme un songe. Mais toi, roi de l’univers, tu es tout-puissant et éternel. Tes années sont innombrables, la durée de tes jours est infinie ; le mystère de ton nom est impénétrable. Ton nom est digne de toi, et toi tu es digne de ton nom. Agis donc en faveur de ton nom, et glorifie-le d’accord avec ceux qui le glorifient. »


Le rosch haschonnah dure deux jours. Pendant les deux jours, ce sont les mêmes prières, les mêmes cérémonies. Chaque après-midi aussi, sur les deux heures, les jeunes gens du village se réunissent de nouveau à la synagogue pour, y réciter en commun et à haute voix les plus beaux psaumes de David. Il est des années où cet acte de piété s’exerce avec un redoublement de ferveur : c’est lorsque le matin même le schophar, malgré l’habileté du pieux sonneur, n’a pas rendu tous les sons avec la netteté et la clarté accoutumées, car c’est là un mauvais augure pour l’année qui va s’ouvrir, et alors, quelque ferventes que soient les prières qu’on adresse à Dieu dans l’après-midi du même jour, on ne parvient pas toujours à détourner le sinistre présage : c’était en 1807 ; le pieux rebb Auscher sonnait alors le schophar à Wintzenheim. Le rabbin en vain avait dit à haute et intelligible voix, comme à l’ordinaire : Téquiô, schevorim, teroua ! Rebb Auscher, de toute la vigueur de ses poumons, soufflait dans la corne de bélier ; il n’en sortait que des sons faux, tronqués, étranges. L’après-midi, la kehila (communauté) tout entière priait le ciel de détourner le présage. Le ciel souvent dans ses décrets est incompréhensible. Six mois après, en expiation sans doute de quelques péchés inconnus, les deux tiers de la communauté étaient emportés par une épidémie dont Wintzenheim conserve encore le lamentable souvenir.

Après avoir assisté à la célébration du rosch haschonnah, je ne pouvais songer à quitter Wintzenheim avant la solennité du kippour, que dix jours seulement séparent des cérémonies du nouvel an. Dans l’ancienne Judée, quand Israël était une nation, le kippour était célébré à Jérusalem avec une solennité sans égale. Le grand-prêtre, devant le peuple réuni sur le parvis du temple, immolait d’abord les victimes ordinaires, puis on lui amenait les deux boucs expiatoires. L’un était destiné à Jehovah, et avec son sang on arrosait les autels du temple ; l’autre, dont le nom est resté proverbial, était le bouc émissaire. Le grand-prêtre lui imposait les mains ; puis, confessant les péchés d’Israël, il le chargeait symboliquement