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« Tous les rejetons de la famille Marvyn avaient appartenu à cette classe de babies réguliers et d’humeur facile qui dorment jusqu’à ce qu’on juge convenable de les lever, qui, éveillés, tètent placidement leur pouce et fixent leurs grands yeux ronds sur le plafond, tant qu’il ne convient pas aux parens qu’ils fassent autre chose. Un peu plus grands, ils avaient été des enfans sages et bien appris, qu’on pouvait habiller dès le matin du dimanche et asseoir comme autant de poupées sur des chaises, où ils attendaient paisiblement que la cloche annonçât l’heure d’aller à l’église. Grâce à ces petits modèles de tranquillité, de régularité et de sagesse, mïstress Marvyn avait’ été proclamée une femme supérieure dans l’art d’élever les enfans.

« James était destiné à mettre en déroute l’expérience et tous les talens de sa mère. Il pleurait la nuit, il voulait être levé dès le matin ; il ne voulait sucer ni son pouce ni l’éponge imbibée de lait sucré avec laquelle les commères essayaient de l’apaiser. Il livrait des combats vigoureux avec ses jambes grassouillettes, renversait toutes les traditions en fait d’éducation, et régnait despotiquement sur la domesticité vaincue. Dès qu’il put marcher seul, on était certain d’apercevoir ses beaux yeux noirs et les grosses boucles de sa chevelure dans tous les endroits interdits, et de lui voir faire tout ce qui était défendu. Tantôt pendu à la robe de sa mère, il l’aidait à saler le beurre en ajoutant pour sa part un petit contingent de tabac ou de sucre ; tantôt, après un de ces intervalles de silence si gros de menaces pour qui a l’expérience des enfans, il apparaissait avec les débris de la boîte à l’indigo, le visage sillonné de plaques bleues et plus semblable à un gnome qu’au fils d’une respectable mère de famille. Il n’y avait point de cruche à la portée de ses petits pieds et de ses mains infatigables dont l’étourdi ne se renversât tout le contenu sur la tête, sans en devenir plus raisonnable. Aussi sa mère disait-elle qu’elle remerciait le ciel tous les soirs quand elle le mettait au lit tout endormi : James avait encore passé une journée sans se tuer et sans tuer personne !

« Devenu grand, il n’en valait guère mieux. Il n’avait point de goût pour l’étude, il bâillait sur les livres ; il sculptait des ancres quand il aurait dû apprendre ses conjugaisons. Personne ne pouvait deviner comment il avait appris à lire, car il semblait ne jamais rester en place assez longtemps pour apprendre quoi que ce soit. Cependant il savait lire, et il en profita pour dévorer toute sorte de récits de voyages par terre et par mer, et les vies des guerriers et des amiraux. En dépit de son père, de sa mère, de ses frères, il semblait avoir le talent le plus extraordinaire pour faire de mauvaises connaissances. Il était toujours le bienvenu près de tous les Tom, les Jack, les Jim, les Ben et les Dick, qui flânaient sur les quais de Newport. Il étonnait son père par sa connaissance minutieuse de tous les bricks, schooners et goélettes qui étaient dans le port, et ses notions biographiques sur les Tom, les Dick et les Harry qui en formaient l’équipage. Un jour il ne rentra point, et une lettre apportée par un mousse apprit qu’il s’était embarqué à bord de l’Ariel.

« Au bout d’un an, il revint à la maison, plus calme et plus homme, et si beau avec son teint brûlé par le soleil, avec ses yeux noirs si vifs et ses cheveux bouclés, que la moitié des fillettes du pays en perdirent leur cœur le premier dimanche qu’on le vit à l’église. Il était tendre comme une femme