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Malgré de si tendres soins, M. Butler fut tout à coup très malade, et cette circonstance, qui devait m’empêcher de voir Love, au moins pendant quelques jours, nous rapprocha intimement. Je m’installai avec résolution au chevet du malade. Je ne le quittai ni jour ni nuit. Je le soignai comme si j’eusse été son fils. Peu m’importait de brûler mes vaisseaux en pure perte. Je l’aimais pour lui-même, cet homme excellent, plein de résignation dans la souffrance et de gratitude pour le dévouement que je lui montrais. D’ailleurs je ne pouvais pas, je ne voulais pas abandonner Love dans cette douleur, dans cet effroi mortel. Elle ne pensa point non plus que ma présence pût la compromettre. Elle n’y songea seulement pas ; elle me laissa veiller auprès d’elle.

Une nuit que M. Butler avait reposé avec calme, je m’endormis dans la chambre voisine de la sienne. J’étais accablé de fatigue, et j’avais recouvré un peu d’espoir. Quand j’ouvris les yeux, je vis devant moi Love qui me tendait ses deux mains. — J’ai une bonne nouvelle à vous annoncer, me dit-elle à voix basse.

Elle passa son bras sous le mien, et continua en m’emmenant vers le salon : — Vous me disiez hier soir que vous lui trouviez le teint plus clair et les yeux moins cernés. Vous aviez bien raison ; j’avais tort de ne pas vous croire. Il est sauvé, voyez-vous, cela est bien certain. Le médecin est très, très content ! vous allez le voir, il vous dira ce qu’il m’a dit : mon père, s’il continue son traitement, sera remis, dans quelques semaines tout au plus, pour longtemps à coup sûr, et peut-être pour toujours.

Nous entrions dans le salon, le médecin n’y était pas. Nous nous trouvions seuls. Love et moi. Je vis dans la glace sa figure tout illuminée par l’espérance, et son corsage souple et charmant penché vers moi comme si, respirant enfin après tant d’angoisses, elle eût éprouvé le besoin de s’appuyer sur mon épaule. Pour la première fois les deux sentimens qui se partageaient mon âme se confondirent. Je la serrai dans mes bras avec transport, et je couvris de baisers sa tête brune que j’avais attirée sur mon cœur. Je me rendis compte seulement alors de la délicatesse de son être, de sa véritable taille, qui paraissait élevée, et qui était petite, enfin de la ténuité ravissante de cette adorable créature, dont j’avais eu si souvent peur comme s’il y avait eu en elle quelque chose de mâle et de puissant. Je sentis naître en moi une émotion qui réunissait la passion à la sympathie, une ivresse secrète comme l’instinct de la possession de l’âme, un doux orgueil protecteur de la faiblesse confiante, une sensation délicieuse qui me prenait au cœur en même temps qu’à l’imagination ; c’était enfin la tendresse.

Mon effusion avait été si involontaire et si spontanée que je crai-